Liberté, Hasard, Destin et Causalité


Voilà les quatre étiquettes posées sur un même objet, tels qu'on les rapporte habituellement aux points de vue du néant, de la matière, de Dieu et des humains. Cependant cette liste n'est pas complète car il reste à y ajouter la discussion sur les effets de la science et de la civilisation, et sur les éventuels effets de la prière.

Sans bien sûr prétendre épuiser le sujet, je vais ici exposer quelques-unes de mes réflexions et exprériences personnelles s'y rapportant.

Aspect métaphysique contre aspect pratique

Du point de vue métaphysique dualiste, le concept de hasard pur, absolu est une absurdité: rationnellement, ce qui le représente est le concept de probabilité; mais le hasard lui-même, consistant à attribuer à une et une seule des possibilités le titre de réalité, est un concept portant sur l'existence réelle, ce dont nous avons dit qu'elle n'était pas un concept rationnalisable. Par conséquent, on ne peut pas attribuer un sens rationnel au mot "hasard" sans le vider de sa substance, à savoir abandonner le concept de réalité auquel il se rapporte pour revenir au concept de probabilité et donc finalement d'univers parallèles où toutes les possibilités se réaliseraient avec plus ou moins de poids.

Ce qui existe donc, ce que le hasard choisit, provient en réalité de la vie.
Et ce choix vient de la liberté. Parler de hasard, c'est faire abstraction de l'influence des choix effectifs de la liberté qui en est l'origine, la négliger pour réduire le phénomène à son aspect matériel et rationnel, tel que le décrivent les probabilités. Mais c'est une abstraction.
C'est le point de vue obtenu en effaçant à la fois la substance rationnelle (des probabilités qui font exister mathématiquement toutes les possiblités en parallèle), et la substance spirituelle, par laquelle la vie choisit le résultat effectif parmi les possibles. C'est le point de vue du néant, du non-concept. C'est le point de vue absurde. Le hasard pur n'existe pas car métaphysiquement il ne peut pas exister.

Cependant, cette vérité ne concerne que la métaphysique. Elle n'est pas à confondre avec la notion *pratique* de hasard, excellente approximation pour décrire quantité de situations auxquelles nous avons affaire, dont en particulier la quasi-totalité des expériences de physique connues en tant qu'elles expriment un hasard d'origine quantique. Là, le hasard se manifeste de façon conforme la plupart du temps à son concept rationnel, à la philosophie matérialiste à son égard.
En effet, il arrive souvent, et la physique quantique en décrit un ensemble de circonstances générales, des situations dont le résultat n'est pas déterminé univoquement par les lois de la physique ni directement choisis.

La question existentielle qui se pose alors est : quelle est la limite de cette approximation, quelle est l'origine spirituelle effective des choix effectués, comment et dans quelle mesure l'origine de ces choix nous concerne-t-il ?
Alors la réponse qui vient naturellement est bien sûr celle-ci: les choix qui ne nous apparaissent pas comme étant les choix libres et conscients d'un individu particulier, seraient en définitive des choix de Dieu. Ce serait la manifestation du Destin. Mais nous allons voir que cette réponse, aussi tentente et naturelle qu'elle paraisse, est fausse, du moins très souvent. En effet, le hasard existe de toute manière ainsi:

Définition du hasard

Une chose arrive par hasard relativement à une problématique donnée, si ses causes (ou les choix qui sont à son orgine) sont sans rapport avec cette problématique.
(Ceci, sans présumer des sources métaphysiques précises du hasard quantique, qui peut être hors d'atteinte de l'intelligence humaine.)

La question du rôle de Dieu et l'avancement de la science

Un classique argument des athées veut que l'idée de Dieu se construit comme étant l'expression de ce qu'on ignore, et donc, au fur et à mesure que la science progresse, l'idée de Dieu recule. Ainsi on croyait que Dieu faisait se lever le soleil le matin jusqu'à ce qu'on l'explique, et lorsqu'on en saura plus, d'après eux, l'idée de Dieu reculera encore.

En lui-même, cet argument est absurde ne serait-ce que par le fait que l'idée d'un Dieu créateur n'est rien d'autre que l'idée que tout n'est que le fuit de l'esprit de Dieu et repose dessus, autrement dit que sa nature est d'être ce que Dieu en comprend. Donc, que c'est en soi de nature compréhensible même si en pratique tout n'est pas nécessairement compréhensible pour nous ici maintenant, avec les moyens à notre disposition qui sont des moyens rationnels et limités.

Par conséquent, le fait de parvenir à comprendre une chose ne fait que confirmer sa nature de chose compréhensible, que l'idée de création divine indiquait.

 Cependant, en pratique cet argument a porté et peut encore porter un sens véritable et juste, encore faut-il préciser lequel. Déjà on voit immédiatement une différence de conception qu'il introduit: l'idée d'une opération divine "trivialise dans le mystère" le phénomène en voulant y voir un acte direct et arbitraire de Dieu sans autre problème, et donc impossible à saisir séparément du reste, tandis que la compréhension nous indique les relations qui déterminent le phénomène en rapport et en continuité avec d'autres phénomènes en particulièr.

Mais encore ?

Par hasard j'ai été assister à Cluj en 2002 à un cours de DEA de philosophie politique (en français), portant sur le concept de justice.
En l'occurence, il fut raconté l'histoire de la naissance de ce concept et de ses institutions dans l'Antiquité. Je ne m'attendais pas à ce que cela révolutionne ma pensée. Et sur le moment, j'ai pris cela comme une chose très anecdotique, mais avec le recul je pense finalement en avoir retenu une idée bien plus profonde qu'elle en a l'air, et révélatrice de certains préjugés encore tenaces dans le monde actuel.

Voici le point: aux origines pré-antiques, avant que ce concept ne naisse en tant que tel, il était vu comme confondu avec les forces de la nature.
C'était le destin qui jugeait les hommes. Lorsqu'un crime avait été commis et qu'on avait attrapé un suspect, on ne savait pas comment faire une enquête pour le savoir. C'était de l'inconnu, comme les forces de la nature. Alors on le soumettait à l'épreuve de la nature. On le condamnait par exemple à traverser le fleuve à la nage. Si les crocodiles le mangeaient, c'était qu'il était coupable. S'il en réchappait, alors la nature l'avait jugé innocent et le relachait.

Pour prendre un exemple plus récent, suivant un argument trouvé dans "Conversations avec Dieu" tome 2, défendant l'idée que Hitler est allé au ciel parce que tout le monde y va et qu'il n'y a nulle part ailleurs où aller et que de toute façon nul n'enfreint réellement et absolument la volonté de Dieu: pourquoi a-t-on davantage tendance à penser qu'un crime contre l'humanité serait plus injuste et contraire à la volonté de Dieu que les morts dus à un accident ou une catastrophe naturelle ?
Parce que, la catastrophe naturelle n'étant pas voulue par des hommes en particulier, il ne nous reste à disposition que Dieu à qui en attribuer la responsabilité. Or, qui sommes-nous pour critiquer la volonté de Dieu, pour se lever contre notre Créateur ? Comme nous savons, les voies de Dieu sont impénétrables.

Le mécanisme psychologique commun à tout cela consiste à attribuer une valeur divine, ou du moins à s'abstenir de juger maléfique, ce que l'on ne comprend ni ne maîtrise, parce que ce qui échappe à notre compréhension ou à notre maîtrise est alors en quelque sorte attribué au hasard, sauf que le hasard étant considéré comme n'existant pas est finalement pris comme pseudonyme du destin et de la volonté de Dieu faute de connaître autre chose. Vu comme venant de Dieu, l'évènement est de ce fait disculpé voire justifié.

Exemples vécus, dont la question du rapport du destin à la religion

Quand j'ai découvert les groupes de chrétiens et commencé à les fréquenter, ils m'ont dit pour m'inviter à approfondir: crois-tu que c'est par hasard que tu es maintenant parmi nous ? Ne reconnais-tu pas qu'il n'y a pas de Hasard et que c'est donc Dieu qui t'a amené ici ?
Oui, c'est clair, tout cela a un sens, cela faisait partie d'un plan de Dieu pour moi.

Ensuite à Paris, il arriva plusieurs fois un évènement du style suivant: quelqu'un m'explique qu'il lui est arrivé une mésaventure, il a besoin d'être dépanné d'un peu d'argent pour une courte période de temps, qu'il rendra bientôt, parfois même en double, ou demande un don qui serait remboursé. Je pensais à une occasion du destin me permettant d'exercer ma générosité. Manque de chance, je n'en eus aucune nouvelle ensuite, c'étaient des bobards pour me soutirer de l'argent.
Et le pire, c'est que cela m'arriva plusieurs fois, et à chaque fois je me faisais avoir parce que les détails semblaient différents. Je me sentais incapable d'en tirer leçon pour ne plus recommencer car malgré mes résolutions cela m'arrivait encore.

Mais quel était donc le sens de cette épreuve ? Les voies de Dieu sont impénétrables. Le seul sens que je pus en trouver, c'est dans le fait que j'avais reconnus auparavant que par rapport aux vertus présentées en religion, il y en avait une que j'avais du mal à acquérir: l'humilité. J'avais même prié Dieu qu'il me l'enseigne. Mais là, ça m'avait scié, ça dépassait les bornes de l'absurde.
En conséquence, j'ai détesté Paris, et cherché l'occasion de partir. C'est ainsi que j'ai été faire ma thèse à Grenoble.

Revenons sur le rôle du destin dans la conversion.

La non-existence du hasard étant une banalité que toute pensée en matière spirituelle peut facilement saisir mais non facilement maîtriser au point de pouvoir dire ce qui se cache derrière l'apparent hasard, cela laisse chacun facilement seul et désemparé devant ce mystère, donc à la merci du premier venu qui viendra lui expliquer avec un ton d'assurance ce qui se cache effectivement dessous.

Examinons l'argument avancé: "tu nous as rencontrés par hasard, or comme tout hasard cela vient en fait de Dieu, ce qui montre que Dieu appuie notre doctrine". Il y aurait donc une différence de tendance ou de probabilités, entre les probabilités brutes qui seraient conséquence d'un pur hasard matérialiste, et les probabilités (pour ne pas dire la détermination) résultant du choix du destin, de la volonté de Dieu. Ainsi, la probabilité effective, tenant compte du destin, que la personne que vous rencontrez et qui vous expose sa doctrine est voulue par Dieu pour vous montrer la bonne voie, est supérieure à sa probabilité rationnelle et matérialiste. C'est bien gentil tout ça, mais continuons le raisonnement.

Cette affirmation s'affirme comme étant universelle puisque se rapportant à Dieu qui est le même pour tous, donc elle doit également être valable pour tous. De là devrait découler que, dans l'ensemble, en faisant la moyenne des probabilités corrigées par le destin sur l'ensemble des humains, la quantité de rencontres avec les gens présentant la doctrine juste serait très supérieure à celles avec les gens ayant une doctrine fausse. Donc de deux choses l'une, ou bien on admet au départ qu'il y a un beaucoup plus grand nombre de gens ayant la doctrine juste à exposer, auquel cas le destin ne joue aucun rôle de correction dans la probabilité, ou bien le destin permet à chacun d'eux de rencontrer un beaucoup plus grand nombre de gens que n'y parviennent ceux dont la doctrine est fausse, ce qui, excusez-moi, me semble une conclusion des plus invraisemblable et en tout cas, s'il était vrai, serait un phénomène des plus spectaculaires et contraire au caractère officiellement impondérable et caché dans la magie secrète du destin qu'il appartiendrait à chacun de ressentir uniquement par le coeur.
Or, on constate que cette histoire du coup du destin est en fait un archétype usé et récupéré systématiquement par toutes les religions et toutes les sectes, et, excusez-moi encore, je ne vois pas quel besoin on aurait encore de brandir explicitement un argument finalement aussi passe-partout, tordu, superficiel et illusoire malgré les dénégations si jamais on avait vraiment d'autre part à proposer la vérité-la-plus-profonde-qui-parle-au-coeur comme si cela ne devrait pas suffire.

Bon allez, à la limite on peut encore se demander si par hasard il demeurerait une corrélation du destin entre les rencontres et ce dont chaque individu a spécifiquement besoin pour lui-même étant donnée la situation de son parcours personnel. Mais en ce cas, il faudrait reconnaître la nécessité de renoncer à toute prétention à l'universalité des vérités ainsi défendues.

Après ces exemples, passons maintenant à l'étude des lois générales.

Liberté, causalité et effet papillon : le hasard contre le destin

Résumons sous une forme générale les arguments précédents.

Il y a dans le monde deux sortes de phénomènes: ceux dont nous connaissons la cause (que nous pouvons décrire précisément) et ceux dont nous ne la connaissons pas. Et la question est alors de trouver un statut à donner à la deuxième catégorie, ou plusieurs statuts suivant des sous-catégories adaptées: sont-ils l'expression d'actes de Dieu, du destin, de lois spirituelles universelles qu'il soit possible d'exprimer ? Peut-on les influencer ?
Il y a de nombreux exemples historiques pour lesquels d'abord on ne savait pas, puis la science a progressé et a reclassé des phénomènes dans la première catégorie. Il s'agit là le plus souvent de découvertes d'explications d'occurences systématiques de certains phénomènes.
Mais ce que nous allons discuter ici se rapproche du cas contraire: les phénomènes d'apparence aléatoire.
Nous avons dit, métaphysiquement le hasard pur n'existe pas car à la place il y a la liberté, qui est une chose spirituelle. Cependant, comme nous le verrons, ce fondement philosophique n'aura pas d'importance pour les conséquences pratiques qui nous intéressent.

Déjà, on la une notion de liberté au sens premier, pratique, direct, qui nous concerne, sur laquelle on est tous d'accord indépendamment des hypothèses métaphysiques: la liberté individuelle. Par notre conscience nous choisissons librement ce que nous faisons parmi différentes possibilités, parce que nous sommes volontaires et ce n'est pas quelqu'un d'autre qui le choisit pour nous. Ce qui se cache derrière la nature de notre conscience, qu'importe ? C'est tel que c'est et cela ne changera pas de toute manière.

Admettant cela comme une affaire classée, nous modéliserons approximativement un libre individu comme étant une boîte noire avec entrées et sorties d'informations, sans chercher à discuter les causes qu'il y a précisément à l'intérieur: ce qu'il y a à l'intérieur est en pratique approchable avec une bonne dose de validité par ce qu'il est possible de prévoir, par certains domaines de connaissance: la psychologie, la pédagogie, l'orientation professionnels, les goûts et objectifs de vie etc dont ne ne discuterons pas ici le contenu. Ce que nous appellerons "les lois approchées de comportement individuel".

Je veux dire, une approximation non pas précise au point de paraître vraiment réaliste subjectivement au sens du chapitre précédent, mais au sens très vague des notions sur le comportement moyen dont les conséquences peuvent orienter dans ses grandes lignes l'évolution de la société dans son ensemble, par son application à chaque individu qui la compose.
Je ne veux même pas nécessairement parler d'une approximation par quelque chose de prévisible et compréhensible pour nous, mais ne serait-ce que par quelque chose qui existe, quand bien même Dieu seul pourrait s'en faire une idée. Cependant, même si nous ne pouvons nous enfaire une idée précise, du moins pouvons-nous petit à petit en glaner quelques informations pour s'en approcher.

Quant à la différence entre ce style général de comportement et le comportement précis, nous y reviendrons par la suite.
Pour la suite du raisonnement nous ferons à son sujet une seule hypothèse, sur laquelle il me semble que nous pouvons quasiment tous être d'accord: nos choix "libres" ne sont pas déterminés entièrement et de manière univoque suivant une logique dont la structure est celle d'une "causalité renversée", comme fournissant systématiquement et précisément les choix qui conduisent vers une fin planifiée d'avance exactement suivant un objectif d'avenir précisément décidé d'avance par Dieu suivant ce qui Lui semblera bon.
Autrement dit, nous rejetterons l'hypothèse d'un fatalisme divin moral.

Toutes les hypothèses plus précises envisageables compatibles avec celle-là s'avèreront souvent équivalentes en pratique, puisque même un déterminisme matérialiste admet des mécanismes de générateurs pseudo-aléatoires dont le résultat s'apparente en pratique, par défaut d'omniscience, à un libre choix.

Cette hypothèse va entraîner une conséquence fondamentale: au moins dans la plupart des cas, la différence entre le style général de comportements tels qu'on peut les estimer et les comportements effectifs, ne peut autoriser quasiment aucune possibilité d'écart systématique des grandes tendances au niveau des moyennes globales de la société, sur laquelle puisse s'exercer la main du Destin.

Plus précisément, cet énoncé basé sur l'hypothèse plus haut et que je propose de démontrer ci-desssous signifie qu'il n'y a pas de "juste mesure" intermédiaire envisageable entre le concept d'un fatalisme divin complet dépourvu de liberté individuelle et celui d'un monde
quasi dépouvu de sens du destin, abandon quasi-total par Dieu du sort de l'humanité.

Voici pourquoi.

L'hypothèse s'exprimera ainsi: nous ne chercherons pas à analyser davantage ce qu'il peut y avoir à l'intérieur de cette boîte noire nommée liberté qui expliquerait ce qui en sort, mais admettrons simplement qu'il s'y trouve une part d'imprévisible: un "bruit de fond" non négligeable des libres actes de chacun par rapport aux prévisions y compris du point de vue de l'auteur d'un éventuel Destin. Nous n'excluons pas pour autant l'hypothèse qu'il y ait AUSSI une partie (un ensemble d'aspects) de ce bruit de fond de la liberté, sur lequel l'auteur du Destin puisse agir.

Voyons maintenant ce qui en résulte dans "le système extérieur". A savoir, les propriétés globales de ce système d'interactions entre les différentes décisions individuelles, à travers le monde physique extérieur. Le comportement de ce système extérieur est l'effet des 3 choses suivantes:

1) Les lois de causalité : lois de la physique d'une part, lois approchées de comportement individuel d'autre part.

2) La configuration matérielle présente, ce qu'on appelle habituellement les conditions initiales (état de l'environnement, technologies à disposition, systèmes politiques en place...)

3) Le bruit de fond du hasard ou de la liberté, incluant éventuellement mais non exclusivement une marge de manoeuvre du Destin.

Dans le déroulement de tout cela, un rôle important est joué par un phénomène caractéristique des systèmes dynamiques: l'effet papillon.
A savoir, les petites causes entraînent les grands effets et tout bruit même imperceptible dans les causes changera du tout au tout le résultat après un certain temps de gestation et multiplication des retombées.

De cela résulte l'impossiblilité pour la main du destin d'influencer les résultats à long terme soumis à cet effet. En effet, même en admettant qu'il existe des valeurs possibles du bruit de fond amenant vers un objectif donné, en fait, pour chaque choix que la "main du destin" pourrait considérer d'effectuer sur la composante du bruit de fond qu'elle peut contrôler, l'ensemble des devenirs qui en résultent issus des différentes possibilités restantes de par la composante incontrôlable du bruit de fond de la liberté, est à cause de l'effet papillon, un ensemble hétéroclite de devenirs comme tous les autres, ne présentant donc aucune garantie de se conformer au final à une quelconque volonté de Dieu.

En conclusion: même s'il est éventuellement possible à la main de Dieu d'apporter un "coup de main dans l'immédiat" face à une situation simple et prévisible à court terme (du moins pour Dieu), il Lui est foncièrement impossible d'arranger les conséquences à long terme de phénomènes complexes soumis à l'effet papillon, influencés par les subtils détails de la liberté des uns et des autres. Ainsi, même s'il n'est pas rigoureusement absurde que l'idée de "s'en remettre à Dieu" et d'attendre des réponses aux prières puisse effectivement se rapporter à la réalité spirituelle profonde dans certains cas, il me semble nécessaire d'ouvrir les yeux sur les limites nécessaires d'une telle éventualité, limites que donc Dieu lui-même ne peut pas franchir pour rester en cohérence avec les choses établies. En regardant plus attentivement l'idée, on en déduit curieusement qu'en matière de prévision et de capacité à influencer les évènements, l'omniscience est inutile: une connaissance limitée (par un esprit occulte de base) est suffisante pour prévoir telle ou telle chose immédiate, tandis qu'à cause de la liberté amplifiée par effet papillon, même l'omniscience de Dieu ne peut pas aller sensiblement plus loin.

Nous venons ainsi de voir qu'en ce qui concerne les résultats globaux de systèmes complexes au comportement cahotique où intervient la liberté comme l'est le monde actuel, il ne peut y avoir d'influence significative du destin, car ces résultats sont soumis en pratique à ce qui s'apparente à un véritable hasard. C'est-à-dire, que les causes qui les déterminent relèvent d'une liberté qui intervient en rapport à des contextes (de petites décisions immédiates) n'ayant rien à voir avec les effets indirects globaux qui nous intéressent.

Petit exemple symbolique: quelqu'un prend un jeu de cartes et les arrange en tas dans l'ordre qu'il veut. Il le donne à un autre qui sans les regarder en fait secrètement un petit mélange à sa manière, le passe à un autre qui fait de même, et ainsi de suite avec 5 personnes successives.
Les cartes étant ainsi mélangées à l'aveugle suivant les libres choix de 5 personnes, leur disposition finale dépend-elle de la volonté de qui que ce soit ? Bien sûr que non. De la main du destin ? Non plus. Mais de ce à quoi nous ne pouvons trouver un meilleur nom que: le hasard, tout simplement !

En ce sens donc, il est établi qu'il existe en pratique un véritable hasard. Ce hasard qui existe vraiment donc de toute manière en un sens pratique même s'il n'existe pas absolument d'un point de vue métaphysique. Il apparaît comme une généralisation de la notion de pseudo-hasard issu d'algorithmes: c'est l'ensemble des effets issus de systèmes de causalité de formes cahotiques, dépendant de causes antérieures certes libres mais dont les circonstances ou éventuelles inspirations divines affectant leur choix lorsque les choix se produisent n'ont aucun moyen de les affecter d'une manière ayant un rapport de sens spirituel avec leurs effets considérés: le rapport étant du en fait à la configuration du système de circonstances et relations causales en vigueur ne peut nullement refléter un sens spirituel susceptible de nous intéresser.

Après avoir ainsi établi le hasard comme concurrent du destin, nous allons remarquer qu'il est également en concurrence avec la liberté.

La dictature du hasard

Qu'est-ce que la dictature du hasard ? La dictature ou absence de liberté, c'est l'état du monde dans lequel nous ne pouvons pas atteindre les objectifs que nous poursuivons, et que nous exprimons sous forme de l'objectif qui anime nos actions, dans la mesure où nos actions permettent d'exprimer nos motivations et objectifs: les conséques ne seront pas celles que nous visions. La dictature de quelque chose, c'est lorsque c'est cette chose qui décide à notre place de ce à quoi nous arriverons. Le hasard, c'est là où les conséquences obtenues n'ont aucun rapport de signification humaine, accessible subjectivement à l'homme observateur de l'histoire qui les observe simplement, avec la forme des causes également accessibles humainement à ce même observateur qui ont joué un rôle dans ce qui a mené à cette conséquence.

Et alors, la dictature du hasard, c'est, logiquement, l'état du monde dans lequel nous ne pouvons pas les atteindre les objectifs que nous poursuivons, parce que les conséquences de nos actes n'ont aucun rapport de signification humaine, accessible subjectivement à l'homme acteur de l'histoire qui y pense simplement, avec les objectifs qui animent ses actions (qui sont les causes accessibles humainement qui ont joué un rôle dans ce qui a mené aux conséquences obtenues).
Analysons cela plus en détails:
Nos connaissances sont limitées, notre caractère et notre volonté le sont aussi. Nous sommes condamnés à décider d'après nos misérables connaissances, assujettis à nos situations particulières. Si nous sommes libres de nos actes, alors nous ne sommes pas libres de leurs conséquences. Or ce sont les conséquences de nos actes que nous voulons orienter, non nos actes mêmes. Entre les deux, la relation est parfois évidente, parfois compliquée et sujette à apprentissage et correction, mais aussi parfois inaccessible.

Exemple: Je suis libre de voyager n'importe où. Or, où veux-je aller ? Je veux aller là où je trouverai la femme de ma vie. Mais je ne peux pas savoir où elle peut se trouver. Donc je ne suis pas libre d'aller là où je veux.

Le hasard apparaît donc au niveau des choix et du destin individuel, comme étant l'expression des conséquences importantes que nous subissons de nos propres actes lorsque ces conséquences se trouvent n'avoir aucun rapport de sens avec l'intention que ces actes exprimaient. Ainsi nous sommes responsables de ce qui nous arrive parce que ce qui nous arrive est conséquence de nos choix, mais cela a lieu d'une manière que nous ne pouvions pas prévoir ni contrôler. Nous sommes donc, malgré une certaine liberté et donc responsabilité qui nous colle à la peau quelque part, soumis en définitive à la dictature insidieuse du hasard. Dieu ne peut pas nous aider à réaliser ce que nous voulons parce qu'il nous laisse libres de nos actes.

Il peut y avoir totale disproportion entre un acte et ses conséquences. Le moindre réflexe ou la moindre hésitation peut engager toute la vie. Cela ne pardonne pas. Exemple: quand la timidité empêche une rencontre, ou fait oublier d'échanger les adresses.

Autre aspect: Ce qui m'intéresserait serait notamment de modifier mes actes passés. Je ne peux pas le faire donc je ne suis pas libre. Cela ne m'intéresse pas d'apprendre ce que j'aurais dû faire dans telle situation, parce que la prochaîne fois la situation où je devrai agir sera différente et la leçon apprise ne pourra pas s'appliquer.

Voici des situations dans lesquelles nos erreurs ne nous instruisent pas :

- Certains individus ont un caractère qui ne leur permet pas d'apprendre
- La relation causale peut être liée à une circonstance particulière extérieure sur laquelle on ne pouvait pas être informé d'avance.
- Les décisions de quelqu'un n'affectent pas que ses prochains, et il arrive que ceux qui commettent des erreurs n'aient pas l'occasion d'observer ni parfois même d'avoir l'écho de ceux qui en sont affectés, et ne peuvent donc pas en tirer leçon pour se corriger.

Exemple: les décisions d'un ministre affectent des millions de gens qu'il ne connaît pas. Les décisions d'un correcteur de copies d'examen ou de concours engagent les carrières des étudiants.

Science, civilisation et reprogrammation du monde extérieur

Cela n'a rien d'étonnant qu'à la base, les conséquences de nos actes ne soient pas en accord avec l'intention qui les a motivés. En effet, matériellement, concrètement, un acte et ses conséquences sont deux choses différentes, et le monde matériel extérieur ne pouvant lire dans nos pensées pour y obéir, engendre les conséquences qu'il engendre suivant ses règles à lui. Dès lors, pour améliorer la réalisation de nos fins, donc notre liberté de réaliser ce que nous souhaitons, il est faut apprendre ses règles pour en déduire quelles décisions prendre qui entraîneront les conséquences que nous voulons.
C'est la science. Prenant ainsi connaissance des lois de causalité, point 1) ci-dessus, et de la situation actuelle 2), nous pouvons en déduire comment ajuster nos actes 3) pour obtenir ce qu'on veut. Mais en plus, la science permet l'avancement des technologies: elle permet de choisir les actes qui modifieront le point 2), en sorte de faciliter à tout un chacun la tache, lui permettant d'obtenir les résultats qu'il voudra au moyen de décisions 3) beaucoup plus faciles et simples en proportion du but recherché. On peut comparer le monde extérieur par rapport à chaque individu à un ordinateur par rapport à son utilisateur, où la donnée 1) serait le matériel et la donnée 2) serait le logiciel. Pour permettre à l'utilisateur d'obtenir ce qu'il veut, il ne suffit pas d'avoir le matériel, encore faut-il le munir d'un système d'exploitation convivial et efficace. Or, la qualité d'un système d'exploitation dépend à la fois de sa compatibilité avec le matériel disponible, et de ce qui apparaît effectivement convivial à l'utilisateur en rapport avec le style de ses besoins courants.
Ainsi, connaissant les lois de causalité, les hommes de science (savants, ingénieurs, juristes, économistes etc...) travaillent à mettre au point un système d'expoitation et des logiciels fonctionnels et conviviaux, ce qu'on appelle une technologie et une civilisation, ayant pour objectif le progrès vers notre affranchissement par rapport à la dictature du hasard: faire en sorte que les effets réalisés soient le plus possibles conformes à nos intentions sans trop de peine.

Philosophiquement, on peut faire le lien entre cette évolution et la métaphysique dualiste, suivant laquelle l'esprit est la réalité fondamentale non rationalisable, et le monde extérieur est l'épiphénomène rationalisable fruit de l'invention par l'esprit.
En effet, si le monde a été créé par l'esprit, alors il est essentiellement intangible et peut être recréé par lui. Les lois fondamentales 1) ne sont finalement qu'un point de départ accessoire, à partir duquel il est possible de concevoir et mettre au point une nouvelle réalité effective dans laquelle nous pourrons mieux vire. Car le monde dans lequel nous vivons en pratique et ses propriétés qui nous intéressent (outils, moyens de communication, mouvements du corps, sensations), ce qu'en pratique nous appelons la matière concrète qui semble résister de notre point de vue, n'a finalement pas grand rapport nécessaire avec sa nature matérielle profonde telle que décrite par les lois de la physique et qui a la propriété d'être effectivement indépendantes de notre volonté et de résister réellement : les atomes et leurs propriétés chimiques, les lois de l'électromagnétisme etc. Cette nature profonde de la réalité physique n'étant en fait essentiellement que celle d'une bonne machine de Turing universelle, nous pouvons lui faire faire quasiment ce que nous voulons, dès que nous savons parler son langage de programmation et que nous disposons des moyens de causer avec elle (ce que nous acquérons progressivement).

Les auteurs de science-fiction du siècle dernier, souvent influencés par la philosophie matérialiste suivant laquelle l'homme n'est qu'un épiphénomène de la matière, une machine complexe fruit d'un assemblage, se sont plaits à inventer un avenir technologique où l'on fabriquerait des machines semblables à l'homme et capables de se mesurer à lui, les robots. Certes il existe des robots utiles à beaucoup de choses pour épargner à l'homme un nombre de plus en plus grand de travaux, mais le succès le plus spectaculaire de l'informatique réside dans sa capacité de concurrencer la configuration précédente du monde extérieur comme système de mise en relation et en interaction des hommes entre eux, et ceci finalement dans le prolongement et la continuité de ce qu'a été le progrès des technologies et de la civilisation pendant des millénaires.
Cette concurrence entre configurations du monde extérieur, peut se mesurer sous forme de comparaisons de puissances de calcul: la portée, complexité ou intérêt des résultats obtenus, divisé par le travail humain qui a été nécessaire pour l'obtenir. A l'état sauvage, la matière obéit souvent à des approximations grossières présentant donc une faible puissance de calcul, et même si elle est complexe, cette complexité n'est pas adaptée à ce qui nous intéresse. Les technologies développées s'avèrent plus puissantes et intéressantes et donc compétitives face à la configuration précédente de la matière et du monde: leur utilité fait qu'on les adopte et donc qu'elles se répandent.

Lois de Murphy spirituelles...

Pour ceux qui ne connaîtraient pas, les célèbres lois de Murphy ou lois de l'emmerdement maximum, sont habituellement formulées en dehors de toute connotation religieuse, pour exprimer l'acharnement d'un destin maléfique qui nous persécute. En effet, dans la mesure où est floue la limite entre la réalisation de nos objectifs par nous-mêmes de celle par le hasard, les cas d'évènements hostiles s'en trouvent d'autant plus mis en reliefs et font l'objet d'une attention et d'une dénonciation particulières. Etrangement, malgré sa connotation spécialement irrationnelle, cette démarche ne saurait être reprise telle quelle par les religions qui veulement voir en tout évènement inexpliqué la main sacrée de Dieu, car la dénonciation de ses travers prendrait alors la forme d'un sacrilège. La difficulté étant que, puisqu'on décide d'attribuer tout évènement heureux à la grâce de Dieu, il reste à trouver des explications pour les évènements malheureux afin que la doctrine ne soit pas prise en défaut. Au-delà de l'argument passe-partout suivant lequel les voies de Dieu seraient insondables car Dieu est infiniment plus grand que l'homme en sorte que tout ce qui arrive est juste quand bien même ce serait mal (car le chef a toujours raison) et qu'on n'est capable d'y voir aucun bien, diverses tentatives de justifications particulières ont été essayées. Or, la mentalité religieuse ayant toujours tendance à trivialiser la morale en une dichotomie bien/mal prétendument évidente au niveau de l'homme pour culpabiliser ses fautes, elle se voit étrangement réduite à assigner parfois aux actes de Dieu une quasi trivialité inverse, consistant à bénir le mal pour lui-même lorsqu'il survient. Ils en viennent à proclamer que de la part de Dieu le mal est bon et à en faire des lois que j'appellerai ici les lois de Murphy spirituelles, dont la différence avec les profanes est qu'elles sont habituellement déguisées d'un masque d'hypocrisie.

Voici quelques exemples pour illustrer ce propos. Certaines de ces lois de Murphy spirituelles sont spécifiquement chrétiennes, d'autres non. Il est possible que certaines soient en partie justifiées.

- La souffrance est bonne car elle nous permet de comprendre la souffrance des autres. (Personnellement je préfèrerais encore vivre dans un monde où il n'y ait pas de souffrance à comprendre.)

- La souffrance vient du diable, et le mal est permis par Dieu pour nous laisser le choix entre le bien et le mal (voir le livre "Conversations avec Dieu" pour quelques réfutations de tout ça).

- La souffrance nous rapproche de Dieu. Un jour j'ai entendu plus précisément chez les évangéliques un témoignage comme quoi, parfois elle approche de Dieu, parfois elle éloigne. Libre à ceux qui veulent de la souffrance pour les aider dans leur exercice d'approche de Dieu, mais je ne vois pas au nom de quoi il faudrait à cause d'eux condamner les autres à subir le même sort alors que cela ne les aide pas. Et contrairement à ce que certains supposent, le résultat inverse n'est pas dû à un manque de bonne volonté. Je sais, ils s'en foutent pas mal, ils ne me croiront pas et m'accuseront d'être de mauvaise foi, mais tant pis ce n'est pas mon problème: personnellement, la souffrance m'a éloigné de Dieu et contrairement à ce qu'ils proclament, ce n'est pas faute d'avoir fait mon possible pour m'accrocher. Cette accusation de responsabilité individuelle quant aux possibles effets pervers de la souffrance dans la vie spirituelle est une attitude qui me semble des plus monstrueuses qui soient. Dieu ne nous soumet pas à des épreuves que nous ne pouvons supporter, prétendent-ils, c'est pourquoi quiconque défaille est responsable, soit de se plaindre à tort, soit de ne pas remettre sa confiance en Dieu pour s'en sortir. Il faudrait à mon avis s'occuper de vérifier la définition de toutes les notions ici invoquées, car je trouve tous ces arguments très circulaires. Par exemple, par définition une épreuve sera appelée supportable si elle n'entraîne pas le suicide. Dans le cas contraire on dit que la personne suicidée a commis un péché mortel et absurde et n'avait en fait rien compris aux enseignements évangéliques. Quant à l'effet de la souffrance, le fait de se rapprocher ou de s'éloigner de Dieu est toujours supposé volontaire surtout s'il ne s'agit pas de soi-même. Et celui qui s'éloigne de Dieu est également par définition un mauvais chrétien infidèle et indigne d'être écouté sérieusement en dehors d'une consultation psychiatrique bien évidemment. Personnellement donc, la souffrance a détruit en moi toute confiance en Dieu. Elle m'a également débarassé quelque stupides superstitions religieuses, ce qui en soi est un bien je l'admets (même si ce n'est pas celui auquel ces fous de Dieu s'attendaient), mais personnellement encore je ne ressens pas que cela en ait valu le prix: j'aurais encore préféré vire heureux dans quelques illusions que de reconnaître la vérité dans le malheur.

- Le malheur du monde est une bonté divine et ne doit donc pas être guéri, surtout celui des impies. En effet, tel fut le propos d'un étudiant en théologie évangélique avec qui je discutai un jour, et qui avait la vocation de devenir missionnaire, alors que j'essayais de lui expliquer mes projets visant à résoudre les problèmes du monde: d'une part, il affirmait que nous chrétiens, contrairement aux impies, savons que la souffrance a un sens voulu par Dieu, et qu'il n'est donc pas dans la volonté de Dieu de chercher à l'éradiquer (précisément, il s'agit d'un axiome d'existence d'un sens, tandis qu'il ne me semble pas avoir vu de précision ou d'explicitation satisfaisante sur le contenu effectif d'un tel sens ; de même qu'introduire un axiome d'existence d'une preuve d'un certain énoncé, cela ne me semble pas avancer à la justification effective de cet énoncé). Plus précisément, ma proposition ayant quelque chose du style d'organisation en communautés, il précisa que certes cela aurait un sens, mais seulement entre chrétiens afin de soulager les souffrances de nos frères chrétiens. Je lui demandai alors: s'il vaut mieux guérir la souffrance des chrétiens que des non-chrétiens, est-ce parce que les chrétiens savent donner un sens à la souffrance tandis que les autres ne le savent pas ? Il répondit que ce n'était pas pour cette raison mais ne sut pas en donner de meilleure en échange.

- Jeunes convertis, méfiez-vous du diable ! En effet, lorsque tout va bien et qu'on a donné sa vie à Dieu, c'est là que le diable n'est pas content et tend des pièges au nouveau converti, le soumet à des épreuves, cherche les failles de sa foi pour tenter de le faire chuter. Tel est le propos que j'ai une fois entendu.

- Priorité à Dieu. Si quelque chose nous manque au point qu'on vienne à s'en plaindre, c'est la marque du fait qu'on attache à cette chose une valeur supérieure à Dieu. En fait on n'a pas réellement besoin de cette chose mais c'est de Dieu qu'on a besoin. Seul Dieu peut nous rendre heureux, et c'est donc lorsqu'on fera de Lui notre joie qu'il nous donnera les bénédictions qui ne nous intéresseront plus. Ainsi donc Dieu nous soumet à l'épreuve de la privation pour nous apprendre à nous remettre à Lui. Tant qu'on en souffrira, on sera des impies coupables de ne pas nous être remis à Dieu et c'est pourquoi la souffrance continuera pour nous laisser la chance d'apprendre à placer Dieu en premier. En l'occurence, c'est cet argument qu'on m'a servi plus ou moins explicitement face à ma souffrance de célibat.

- Plus généralement, j'ai entendu des chrétiens proposer des explications au célibat du style que l'on n'en parle pas à Dieu comme il faut: tandis que les uns accusent le désir de recevoir réponse de constituer une faute de priorité par rapport à la recherche de Dieu, les autres voire les mêmes considèrent comme condition nécessaire d'adresser sa demande à Dieu. Personnellement j'ai trouvé une telle condition absurde en pratique, le souci d'une bonne attitude de prière combinée avec l'expression de ce problème s'évèrant explosive et intenable. Et, alors que j'ai entendu d'un côté l'affirmation comme quoi bien sûr une prière pour être valable se doit d'être précise expliquant en détail à Dieu quelle genre de fille je voulais, d'un autre côté il ne manque pas d'y avoir des recommandations diamétralement opposées, mais toujours assénées avec le même aplomb. Bien sûr, le non-exaucement d'une prière a toujours valeur de preuve et de définition du fait que ce n'était pas la volonté de Dieu; quant à la justification effective de ce fait, elle n'a bien sûr aucune gêne à être une fois de plus insondable.

- Plus généralement, en dehors même des milieux chrétiens, nombreux sont ceux qui disent: pour trouver l'âme soeur, la meilleure méthode est d'arrêter de la chercher. Cela viendra quand on n'y pensera pas. Le problème est que pour moi le fait de chercher n'est pas quelque chose de l'ordre du choix et de la volonté, mais de l'ordre du besoin. Je ne peux arrêter de chercher car je ne peux arrêter d'avoir besoin. Donc l'exaucement est réservé à ceux qui n'en ont pas ou plus vraiment besoin. En fait, je parie que cela traduit en grande partie l'effet de l'inefficacité d'une recherche active par rapport à une recherche passive.

- On m'a même expliqué que la loi de Murphy précédente est inscrite dans la psychologie féminine: une fille n'aime pas par pitié mais par désir, en rapport avec le besoin d'être protégée. Un homme qui ne supporte pas la solitude est d'abord un homme inintéressant par sa tristesse, ensuite ce n'est pas un homme solide sur qui on puisse se reposer. J'ai beau essayer de leur expliquer que c'est mon seul problème et qu'en dehors de ça je n'aurai pas d'autre motif de tristesse et de chute, plus précisément que ce n'est pas une tristesse mystérieuse sans cause attribuée à ce fait faute d'autre explication mais que réellement mes problèmes seraient résolus sinon, elles ne peuvent pas le croire. Au bilan, elles préfèrent les mecs qui n'ont pas besoin d'elles.

- D'autres tentatives de justifier le malheur de la solitude sont essayées par les uns et par les autres, indépendamment de toute orientation religieuse.
La recette est simple: ceux qui subissent ce malheur cherchent les secours et conseils éclairés de ceux qui ne le subissent pas, espérant trouver auprès d'eux de l'aide et des récettes qui pourraient marcher. Ces derniers, ainsi élevés au statut de médecins, de savants et de conseillers, devant le vertige d'une telle inégalité des sorts des humains, ne sauraient nullement envisager de supporter la responsabilité qu'entraînerait l'idée d'une cause sociale dont ils seraient partie prenante. Non plus le scrupule d'un privilège du au hasard, ou à une inégalité des chances innée. C'est pourquoi ils cherchent des réponses ayant une forme d'explications d'ordre individuel et psychologique liées aux défauts de conceptions et de choix et modes de vie de ces malheureux, rejetant donc l'entière responsabilité de ces malheurs injustes et criants sur leurs victimes. Ils prennent le plus souvent les symptomes du malheur et les assimilent à des explications, des bonnes raisons pour lesquelles ce malheur demeurera. Voici en particulier mes critiques d'un exemple de pseudo-analyse des causes du célibat et conseils pour en sortir (disponible sur un site pour célibataires catholiques mais n'invoquant pas la dimension religieuse dans ce texte précis). Il est possible que réellement le malheur du célibat renforce la difficulté à en sortir. Il s'agirait alors d'un véritable mécanisme murphique d'exacerbation des inégalités sentimentales entre les hommes.

- Neale Donald Walsch a en quelque sorte l'originalité de ne pas adhérer à la même loi de Murphy spirituelle que les chrétiens, mais il en avance une autre à la place. Il écrit de la part de Dieu : <<Si tu crois que Dieu regarde toutes les prières, dit "oui" aux unes, "non" à d'autres, "oui, mais pas maintenant" aux troisièmes, tu te trompes>>. Car, selon lui, Dieu n'intervient pas, il nous laisse agir suivant nos plans. Cependant, en même temps Dieu prendrait notre volonté sur Lui comme étant la sienne, Il ne reconnaîtrait comme bonne prière que les prières de louanges, proclamation confiantes à l'univers des bénédictions de Dieu à quoi l'univers répondra par la réalisation desdites bénédictions, tandis que les prières de requêtes ne seraient que des proclamations à l'univers d'un besoin, d'une volonté c'est-à-dire d'un manque, à quoi l'univers répond suivant cette proclamation, en réalisant le manque ainsi proclamé et le prolongeant. Il s'agirait donc là d'un nouvelle loi de Murphy spirituelle d'exacerbation des inégalités entre les âmes, où la chance va aux chanceux qui n'ont besoin de rien et est ôtée à ceux qui en auraient besoin.

... contre justice sociale

Ayant maintenant fini d'expliquer la notion de "lois de Murphy spirituelles", nous allons voir qu'il serait possible à un système de justice sociale de les contrecarrer. Il s'agit de l'apport de la civilisation, au sens que nous avons expliqué précédemment, avec sa lutte contre la dictature du hasard.

Nous allons étudier cela une fois de plus sur le problème des rencontres amoureuses et de son rapport avec la liberté.

Lorsque deux personnes se rencontrent, la question de savoir si c'est pour la vie ou pas relève de leur liberté, à ce qu'il paraît. Or la liberté étant sacrée, il est impensable de remettre leur choix en question, ce qui semble ainsi constituer un déterminisme social. Dans l'absolu ce ne serait pourtant pas tout-à-fait exact, car il se peut que ce soit un choix par défaut, d'individus voyant à peu près l'avenir qui leur est réservé ensemble mais ne pouvant guère prévoir ce qui leur adviendrait dans le cas où ils se sépareraient, en sorte qu'il manque un élément de comparaison pour que leur décision puisse réellement être prise en connaissance de cause. Mais, plutôt que de marcher sur les oeufs de ce côté-là, nous allons voir qu'il reste d'autre part une grande marge d'indétermination par ailleurs sur laquelle il est possible de jouer.
D'abord, dressons le portrait de la situation actuellement en vigueur. Chacun a au cours de la période critique sa vie où s'effectue le choix d'un partenaire, l'occasion de rencontrer un certain nombre de personnes appartenant à la tranche convenable d'âge et de sexe, nombre certes grand par rapport à l'individu mais petit par rapport à la société. Par exemple cela peut s'élever à quelques milliers ou dizaines de milliers. Cet ensemble est tiré parmi la tranche correspondante de la population du pays par exemple, à peu près aléatoirement relativement au problème ici posé. Dans cet ensemble donc, un partenaire est choisi dans une majorité de cas, d'une manière apparemment libre. Et on constate que ce libre choix qui en sort devient solide, au sens où même si un nouvel ensemble de rencontres est proposé à l'individu, ensemble contenant quelqu'un qui aurait convenu si cela avait été l'ensemble de rencontres initial, et même quelqu'un qui aurait été préféré s'il avait été intégré au premier ensemble, ce choix donc n'est généralement pas remis en question. En partie peut-être par peur que l'un ou les deux partenaires retombe dans la solitude, certes aussi parce que l'opération d'établissement d'une relation ne permet pas normalement sans frictions, de par sa lourdeur liée aux propriétés et règles de bon fonctionnement internes des relations telles qu'elles sont recherchées, d'être ainsi interrompue et recommencée avec quelqu'un d'autre. Remarquons en passant que cette liberté de non rupture considérée comme sacrée bénéficie ainsi d'un respect privilégié disproportionné relativement à la violation de liberté par la dictature du hasard que constitue la situation d'un célibataire qui n'a pu trouver personne de disponible dans son entourage pouvant lui convenir.

Remarquant que, pour la même raison, même s'il est possible de développer des modes d'organisation permettant d'accroître l'échantillon utile de personnes rencontrées en vue du choix, notamment s'il est possible de définir à partir de la population existente une présélection de personnes convenables par des moyens informatiques, les coûts liés aux entretiens individuels nécessaires à la détermination d'un choix final réellement convenable ne permettra le plus souvent de toute manière que d'examiner un échantillon minoritaire des possibilités parmi celles qui auraient été théoriquement envisageables à partir de la population existante. Par conséquent, le plus souvent, la donnée de l'ordre ou de l'ensemble des entretiens ainsi effectués même parmi une présélection automatique librement définie par des critères individuels, ne saurait être entièrement déterminée de manière rigide par la liberté de l'individu. Or, nous avons dit qu'elle représente une marge d'indétermination initiale importante relativement au champs des possibles du point de vue de la population prise dans sa globalité, et joue un rôle clé dans la détermination de la configuration finale du système.

De tout cela on peut tirer la conclusion fondamentale suivante. C'est que, tandis qu'à défaut de moyens informatiques adéquats, la marge d'indétermination ci-dessus définie demeure soumise à la dictature du hasard, par contre, dans le cas où les moyens informatiques auraient été largement déployés de manière publique, unifiée et satisfaisante, elle peut passer sous la dépendance de nouvelles règles introduites dans les logiciels utilisés.
Dès lors, si la société dans son ensemble s'accordait sur les modalités d'un concept de justice sociale visant à compenser les difficultés naturelles ou répondre aux plus urgents besoins (dans la mesure de ce qui n'entrerait pas en conflit avec la liberté individuelle pour cause de véritables défauts d'individus qui seraient de mauvais partis), et se chargeait en conséquence de les traduire dans ces logiciels sous forme de subtiles règles de priorité d'affichage des résultats de recherche, alors je ne vois guère de loi de Murphy spirituelle en ce domaine qui pourrait encore lui résister.


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comment convertir une population.
critique d'un commentaire sur "les pièges du célibat".
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Voir aussi l'article Wikipedia: Magical Thinking.