Introduction
Indéniablement, la
résurrection de Jésus est au cœur du message chrétien primitif. « Et si
Christ n’est pas ressuscité notre prédication est vaine et votre foi est vaine
» déclare l’apôtre Paul en 1 Cor. 15,14.
Proclamation qui heurte le bon sens, la Raison, dans la mesure où
elle contredit les données de l’expérience, à savoir le caractère inéluctable
et définitif de la mort. Proclamation qui surprend aussi, lorsqu’on sait
qu’après la mort de leur Maître, les disciples étaient loin de faire preuve de
triomphalisme. Les évangiles nous les présentent, en effet, comme abattus,
désemparés. Pourquoi ? Parce que cette mort ignominieuse ruinait le
message prophétique de leur Maître… donc leur espérance. N’avait-il pas annoncé
le proche établissement du Royaume de Dieu ? La déception est brutale et
pourtant, à la surprise générale, cette déception se transforme, quelques
semaines plus tard, en une folle assurance. N’annoncent-ils pas haut et fort
qu’Il est ressuscité ? Comment expliquer un tel revirement ?
Présentée en ces termes
la problématique de la foi en la résurrection nous interpelle. Faut-il alors
franchir le pas et considérer que la proclamation des disciples repose sur une
réalité historique ? C’est bien ce que soutiennent les chrétiens
fondamentalistes. Manifestement, disent-ils, les disciples n’ont pas pu
inventer cette histoire de résurrection et s’ils n’ont pas pu inventer c’est,
de toute évidence, parce qu’il s’est passé "quelque chose", quelque
chose de très fort qui les a profondément marqués. Pris dans cette logique il
nous faut alors admettre l’inconcevable : admettre que Jésus est
réellement apparu à ses disciples et donc admettre la véracité de nos quatre
évangiles. Conclusion logique qui se confond en acte de foi ! Paradoxe
absolu où l’exigence de rationalité conduit à opter pour
l’Irrationnel !
Mais les textes du
Nouveau Testament confirment-ils une telle position ? Pas si sûr. Et si, à
travers ces textes, se cachait une réalité beaucoup moins spectaculaire ?
Jésus
s’est-il manifesté après sa résurrection ?
Curieusement,
alors même que sa prédication est tournée vers un futur immédiat, qu’il révèle
clairement à ses disciples les signes « de la fin du monde » (Mat.24,3-35),
Jésus se montre très discret sur les événements extraordinaires qui vont
marquer sa propre destinée. Ce n’est que de façon très occasionnelle qu’il
parle de sa mort et de sa résurrection, et, quand il en parle, curieusement,
son entourage ne le comprend pas. Ses paroles, nous dit-on, sont perçues comme
obscures, énigmatiques. Constatons que jamais il ne mentionne ses futures
apparitions. En Lc. 18,31-34, Jésus s’adresse aux douze en ces termes :
« (…) et tout ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de
l’homme s’accomplira. Car il sera livré aux païens ; on se moquera
de lui, et après l’avoir battu de verges, on le fera mourir ; et le
troisième jour il ressuscitera. Mais ils [les disciples] ne comprirent
rien à cela ; c’était pour eux un langage caché, des paroles dont ils
ne saisissaient pas le sens. » Discours bien impersonnel. Tout
se passe comme si le Seigneur se contentait de lire des textes
prophétiques.
Notons
que les plus anciens manuscrits de Marc ignorent tout récit d’apparitions.[1]
Le tombeau vide y est cependant mentionné et une apparition de Jésus en Galilée
est annoncée (Mc.16,3-7).
En
1 Jn. 3,2 nous lisons : « Ce que nous serons n’a pas encore été
manifesté ; mais nous savons que, lorsque cela sera manifesté nous
serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. »
Cette
position est confirmée par l’apôtre Paul. En Héb. 9,26- 2 nous lisons : « Et
comme il est réservé aux hommes de mourir une seule fois, après quoi
vient le jugement, de même aussi le Christ qui s’est offert une seule fois pour
porter les péchés d’un grand nombre, apparaîtra sans péché une
seconde fois à ceux qui l’attendent pour leur salut. » D’après le
verset 26, la première fois, Christ était venu abolir le péché par son
sacrifice… étape ultime de son ministère terrestre.
Pour
les apôtres, il est clair, que le retour de Jésus sous une forme
"corporelle" et visible n’a pas encore eu lieu et cet évènement à
venir est désigné par le terme Parousie. Rappelons que les mots grecs épiphanie
(apparition) et parousie (venue) désignaient primitivement la venue
future du Christ.
Mat. 24,23-27 apporte quelques précisions
supplémentaires : « Si quelqu’un vous dit alors : le Christ est ici, ou : Il
est là, ne le croyez pas. [...] Si donc on vous dit: voici, il est dans le
désert, n’y allez pas; voici il est dans les chambres, ne le croyez pas. En
effet, comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’en occident, ainsi sera
l’avènement du Fils de l’homme. »
En clair méfions-nous de ceux qui
prétendent avoir vu le Christ. Lorsqu’il se manifestera ce sera avec puissance
et gloire... et tout œil le verra. Affirmation récurrente dans tout le Nouveau
Testament.
La
lecture des évangiles nous réserve pourtant bien des surprises.
Ils
nous montrent, un ressuscité discret, ambigu, que les disciples, de prime
abord, ne reconnaissent même pas.
En
Lc. 24,15 : « Jésus s’approcha, et fit route avec eux (les pèlerins d’Emmaüs).
Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. »
En
Lc. 24,31-32 Jésus, est reconnu par ses disciples, mais il disparaît aussitôt.
En Jn. 20,14-15 : « En
disant cela, elle (Marie) se retourna, et elle vit Jésus debout ; mais
elle ne savait pas que c’était Jésus. » Elle pensait que c’était le
jardinier.
Même ambiguïté dans Mc. 16,12-14: «
Après cela, il apparut, sous une autre forme, à deux d’entre eux qui étaient en
chemin pour aller à la campagne. Ils revinrent l’annoncer aux autres, qui ne les
crurent pas non plus. Enfin il apparut aux onze, pendant qu’ils étaient à
table; et il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur, parce
qu’ils n’avaient pas cru ceux qui l’avaient vu ressuscité. » Si
Jésus apparaît physiquement à ses disciples, n’est-ce pas justement pour leur
apporter la preuve magistrale qu’il est bien ressuscité ? Son objectif
n’était-il pas de leur redonner confiance, de les redynamiser en quelque sorte,
de telle façon qu’ils puissent proclamer, en toute assurance, la bonne
nouvelle de la résurrection ?
Comment comprendre alors ce reproche
d’incrédulité ? L’attitude du ressuscité ne paraît-elle pas bien injuste
pour ne pas dire bien incompréhensible ? Pour y voir plus clair sans doute
convient-il de ne pas s’attarder sur le récit lui-même mais plutôt sur
l’intention de l’auteur, sur l’enseignement principal qu’il cherche à faire
passer. Que nous enseigne-t-il ? Que, si Jésus reproche à ses disciples
d’être incrédules, c’est, tout simplement, parce que la foi l’emporte sur
la vue.
Très surprenant est le passage de Mat.
28,16-17: « Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que
Jésus leur avait désignée. Quand ils le virent, ils l’adorèrent. Mais
quelques-uns eurent des doutes. » Cette contradiction paraît énorme.
Comment peut-on adorer Jésus et avoir des doutes ?
Si
les évangiles insistent particulièrement sur l’incrédulité des disciples, ils
n’en minimisent pas pour autant l’incrédulité des autorités juives (c. à. d. le
Sanhédrin) qu’ils nous décrivent comme hostile et systématique.
Et
pourtant, en Mat. 28, à notre grand étonnement, nous apprenons, que les
premiers à croire en la résurrection de Jésus, sans même l’avoir vu, ce ne sont
pas les disciples, mais leurs adversaires les plus déterminés, à savoir les
autorités juives.[2]
Rien d’étonnant à cela affirme l’exégèse chrétienne, puisqu’on peut croire à la
résurrection tout en étant endurci à la Vérité. La meilleure preuve,
affirme-t-elle, c’est que Satan, lui aussi, croit en la Résurrection. Argument
imparable car chacun sait que le monde de "l’au-delà" c’est, par
définition, le monde de l’invérifiable… Très commode pour faire passer les
affirmations les plus saugrenues.[3]
Mais
remettons les pieds sur Terre. L’incohérence du texte de Mathieu est manifeste.
D’abord on nous présente des autorités juives d’une incrédulité viscérale,
puis, contre toute attente, et sur la seule base d’un témoignage oral, elles
font preuve d’une désarmante crédulité (en cela elles montrent une foi bien
plus grande que les disciples. cf. Mc. 16,12-14). Néanmoins, malgré leur
crédulité (ou leur foi ?), ces mêmes individus s’ingénient à répandre une
fausse rumeur, se faisant, ainsi, délibérément, les apôtres d’un
contre-Évangile. Aucun motif, aucun ressort psychologique pour justifier une
réaction aussi aberrante. L’endurcissement imputé aux autorités religieuses
relève de la plus parfaite extravagance… à moins d’admettre que la thèse des
mystificateurs soit elle-même une mystification !
Si l’on admet la thèse évangélique, à savoir que ce sont les
apparitions qui sont à l’origine de la foi en la résurrection, la discrétion du
Ressuscité laisse, évidemment, perplexe. Pourquoi n’est-il apparu qu’à ses
disciples ? N’avait-il pas intérêt, au contraire, à se montrer de façon
éclatante au plus grand nombre, en particulier à ses ennemis ?
La nature du corps ressuscité
Selon les évangiles
Jn. 20,20 : «... Jésus vint, se présenta au milieu d’eux [...]
Et quand il eut dit cela, il leur montra ses mains et son côté. »
Jn. 20,27-28 : « Puis il dit à Thomas : Avance ici ton
doigt, et regarde mes mains ; avance aussi ta main, et mets-la dans mon côté;
et ne soit pas incrédule, mais crois.»
Luc
24,36-40 : « Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi ; touchez-moi
et voyez; un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai.
» Comme les disciples ont des
doutes, le Christ prend du poisson grillé et le mange devant eux. (v. 41 à 43)
Dans ces récits le ressuscité cherche à rassurer ses disciples en
montrant qu’il n’a pas changé, que son corps est toujours de même nature.
Selon
les apôtres
En
1 Cor. 15,39-50 Paul affirme : « Il y a aussi des corps terrestres et des
corps célestes; mais autre est l’éclat
des corps célestes, autre celui des corps terrestres. (...) Ainsi en est-il
de la résurrection des morts. Le corps est semé corruptible; il ressuscite
incorruptible; il est semé méprisable, il ressuscite glorieux; il est semé
infirme, il ressuscite plein de force; il est semé corps animal, il ressuscite
corps spirituel. S’il y a un corps animal, il y a aussi un corps spirituel.
(...) Ce que je dis frères, c’est que la chair et le sang ne peuvent
hériter le royaume de Dieu, et que la corruption n’hérite pas
l’incorruptibilité. »
D’après
2 Cor. 5,16: « Et si nous avons connu Christ selon la chair, maintenant
nous ne le connaissons plus de cette manière. »
Pour
Paul aucune confusion n’est possible entre corps célestes et corps terrestres.
Leur nature est radicalement différente. Sans doute aurions-nous aimé plus de
précisions de la part de l’apôtre ; prudent il préfère s’en tenir à des
généralités.
Notons
que Pierre confirme le point de vue de Paul : «...ayant été mis à mort quant
à la chair, mais ayant été rendu vivant quant à l’Esprit,...» (1 Pi. 3,18)
Après
les affirmations de Paul l’apparence du ressuscité paraît bien terne lorsqu’on
parcourt les évangiles. Ce manque d’éclat contraste, par exemple, de façon
saisissante, avec l’aspect des anges (cf. Lc. 24,4-5 ; Mat. 28,3-4), car il
nous est précisé que « leur aspect était comme l‘éclair » et que « leurs habits étaient
resplendissants », « blancs comme la
neige ». Comme ces apparitions sont généralement accompagnées
« d‘un grand tremblement de terre », les témoins sont saisis d‘une
grande frayeur (Lc. 24,4-5 ; Mat. 28,3-4). Ce qui soulève une question : la
population pouvait-elle ignorer des phénomènes d’une telle ampleur ?
Curieusement ce tremblement de terre n’a laissé aucune trace dans les documents
d’époque.
De
même l‘aspect de Jésus paraît bien plus éclatant lors de la transfiguration.
Selon Mat. 17, 2 : « Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit
comme le soleil, et ses vêtements
devinrent blancs comme de la lumière. » Selon Marc 9,3 : « ses vêtements
devinrent d‘une telle blancheur qu‘il n‘est pas de foulon sur la
terre qui puisse blanchir ainsi.»
En Jn. 20,14-15 Marie, ne reconnaît pas immédiatement le Seigneur
ressuscité. Tout bascule quand elle entend la voix l’appeler par son nom. Elle
se retourne alors et ses yeux s’ouvrent. Profondément émue, elle cherche à
établir, semble-t-il, un contact physique avec son Maître, mais, curieusement,
celui-ci l’arrête aussitôt, en lui interdisant de le toucher avec pour toute
justification : «( …) je ne suis pas encore monté vers mon Père. » (Jn.
20,17) (Ce qui contredit Jn. 20,27-28.) Faut-il comprendre que son corps
n’était pas encore glorifié ? Dans cette hypothèse Marie aurait été en présence
d’un simple cadavre ramené à la vie ou, si on préfère, d’un mort-vivant.
Partant de là, on peut considérer que la réaction de Jésus n’est que la
traduction d’un interdit religieux, ce qu’on appellerait, aujourd’hui, un
tabou. Marie ne devait pas toucher pour éviter de se souiller.
On peut aussi interpréter cette interdiction comme une tentative,
de la part du rédacteur, d’harmoniser les récits d’apparitions. Comme
l’Évangile de la résurrection ne pouvait guère s’accommoder de témoignages
subjectifs, l’harmonisation ne pouvait être que majorante. De là à considérer
que l’apparition dont avait bénéficié Marie, n’était pas une simple vision ou
un vague fantôme, mais bien une manifestation "matérielle", charnelle…
ce qui restait, évidemment, à prouver. Or on peut émettre l’hypothèse que cette
trace de témoignage n’apportait aucune preuve à la thèse défendue, si bien que
le rédacteur en aurait été réduit à inventer une explication pour le moins
tirée par les cheveux, qui est la suivante : Marie aurait bien été en présence
d’une apparition matérielle ; malheureusement elle n’a pas pu s’en assurer
"concrètement", et cela pour une raison très simple : le
ressuscité lui avait interdit de le toucher.
Il
peut paraître étrange que la description du ressuscité soit aussi vague et
aussi incohérente. En Mc. 16,12 on se contente de dire « qu’il apparut sous une autre forme » (sans
préciser laquelle). En Lc.24,36 ou en Jn.20,19 on nous dit qu’il se « présenta
au milieu d’eux » alors que les portes étaient fermées (donc dans une
pièce), sans apporter plus de détails que la joie des disciples, selon Jean, la
frayeur et l’épouvante, selon Luc, car « ils croyaient voir un esprit » (en
d’autres termes un fantôme, ce qui contredit alors les autres récits).
Ajoutons
que le récit de l’Ascension est tout aussi elliptique. En Act. 1,9-11:
«
Après avoir dit cela, il fut élevé pendant qu’ils le regardaient, et une nuée
le déroba à leurs yeux. Et comme ils avaient les regards fixés vers le ciel
pendant qu’il s’en allait, voici, deux hommes vêtus de blanc leur apparurent,
et dirent... » (La nuée permet au rédacteur de rester
flou. Si nous n’avons aucune description de Jésus, l’apparition des
"anges" est au contraire lumineuse.)
Si
l’on admet que le ressuscité s’est manifesté matériellement et qu’il a même
mangé en présence de ses disciples (d’après Luc
24,41-43), comment faut-il comprendre le dernier repas du
Seigneur peu de temps avant sa mort ? En Lc. 22,14-18, Jésus n’affirme-t-il
pas qu’il ne mangera plus ni ne boira plus du fruit de la vigne avec ses
disciples jusqu’à l’avènement du royaume de Dieu ? La Cène
ne nous est-elle pas présentée comme un repas en mémoire du
Seigneur ? Ergoter sur la nature des aliments nous semble être une façon
plus que contestable de résoudre cette contradiction.
Observons
que les apparitions du Seigneur se produisent sur une période très courte
(quelques semaines selon Act. 1,3). Pourquoi Jésus coupe-t-il ainsi les ponts
avec ses disciples alors qu’une période difficile les attendait? En Matthieu
28,20 le ressuscité n’avait-il pas proclamé: « Et voici, je suis avec vous
tous les jours, jusqu’à la fin du monde.»
Et
les autres résurrections ?
Jésus
est ressuscité mais, selon nos évangiles, il a aussi ressuscité des morts.
D’autres morts ont encore ressuscité après qu’il eût « rendu
l’esprit » sur la croix.
Des
évènements aussi spectaculaires, qui attestaient la puissance de Dieu,
pouvaient difficilement être passés sous silence. Or, il faut se rendre à
l’évidence, en dehors des évangiles, il nous est impossible de trouver la
moindre mention de ces résurrections, que ce soit dans le reste du N.T., ....
ou que ce soit dans les sources profanes.
Que
faut-il penser de toutes ces résurrections ? Sont-elles d’une nature vraiment
différente?
Pour
les exégètes chrétiens, de toute évidence, il existe deux types de
résurrections, les unes seraient « charnelles », les autres
« spirituelles ». Alors que dans un cas les personnages rappelés à la
vie étaient condamnés à mourir une deuxième fois, dans l’autre (qui est à ce
jour unique), la résurrection a été glorieuse et définitive. Pour séduisant
qu’il soit, ce subtil distinguo n’est confirmé
nulle part dans les Écritures.
Si,
dans les épîtres, les apôtres affirment avec force que Jésus est le «premier-né
d’entre les morts » (Col. 1,18-19), jamais ils ne mentionnent les
autres résurrections. Rappelons que la seule résurrection reconnue par Paul est
la résurrection « spirituelle » parce que, dit-il : «… il
est réservé aux hommes de mourir une seule fois, après
quoi vient le jugement… » (Héb. 9, 26-28) et d’affirmer que la nature
du corps de résurrection ne doit pas être confondue avec un corps
« charnel » : « Le corps est semé corruptible; il
ressuscite incorruptible; il est semé méprisable, il ressuscite glorieux; il
est semé infirme, il ressuscite plein de force; il est semé corps animal, il
ressuscite corps spirituel. » (1 Cor. 15,39-50)
Or
les évangiles semblent défendre une position radicalement différente. D’après
Mat. 27,52-53 : « (…) les sépulcres s’ouvrirent et les corps de
plusieurs saints (« de nombreux saints » selon
certaines traductions) qui étaient décédés ressuscitèrent. Étant sortis des
sépulcres, après la résurrection de Jésus, ils entrèrent
dans la ville sainte et apparurent à un grand nombre de personnes. »
Pourquoi
le rédacteur a-t-il jugé bon de préciser « après la
résurrection de Jésus» alors que, si l’on suit le déroulement
du récit, Jésus vient à peine de rendre l’âme ? De toute évidence pour
nous rappeler que Jésus est bien le «premier-né d’entre les morts ».
Cette petite précision, glissée discrètement, ne serait donc pas anodine ;
elle nous confirmerait, implicitement, que toutes ces résurrections sont bien
de même nature.
On
peut d’ailleurs rapprocher ce passage de 1 Cor. 15,20-24 : « …
Christ est ressuscité des morts, il est les prémices de ceux qui sont morts.
Car puisque la mort est venue par un homme, c’est aussi par un homme qu’est
venue la résurrection des morts. Et
comme tous meurent en Adam, de même aussi tous revivront en Christ, mais
chacun en son rang, Christ comme prémices, puis ceux qui
appartiennent à Christ, lors de son avènement. » Une différence de taille cependant. Paul
n’expose pas des faits s’étant réellement produits mais un évènement futur qu’il
convient d’espérer et c’est cette espérance qui constitue la base même de
l’Évangile.
Force est de constater que la
résurrection des croyants a toujours fait partie de l’espérance
chrétienne ? Paul est, là-dessus, très clair : « ... nous les vivants,
restés pour l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui sont
morts. Car le Seigneur lui-même, à un signal donné, à la voix d’un archange, et
au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts en Christ
ressusciteront premièrement.» (1 Thes. 4,14-17) Donc après le Christ.
La thèse d’un Jésus pleinement ressuscité
distinct des autres ressuscités seulement ramenés à la vie, constitue une
réponse sans doute bien commode mais elle n’est absolument pas fondée sur les
Écritures… ce qui n’empêche pas, d’ailleurs, qu’elle soit présentée comme une
évidence par les chrétiens fondamentalistes. L’étrange silence des épîtres sur
ce point est d’autant plus inexplicable que ces textes constituent, faut-il le
rappeler, les premiers écrits chrétiens.[4]
Par contre si de tels miracles s’étaient réellement produits, les apôtres
n’auraient pas manqué de nous le faire savoir… avec force détails. N’était-ce
pas, en effet, l’occasion rêvée de témoigner de la puissance de Dieu ?
Même si d’aucuns prétendent qu’il existe,
encore de nos jours, des témoignages de résurrections, (je l’ai entendu de mes
propres oreilles), il convient de reconnaître qu’elles sont loin d’avoir le
caractère spectaculaire du récit de Mathieu et, en y regardant d’un peu plus
près, on s’aperçoit que les miracles ne sont, bien souvent, que le fond de
commerce d’une certaine littérature.
Ces prétendus témoignages soulèvent donc
bien des interrogations. Faut-il les prendre pour argent comptant… ce que
les croyants s’empressent d’appeler un acte de foi ? Malheureusement, ces
témoignages étant toujours invérifiables, on est en droit de soupçonner la
désinformation ou la manipulation ?
De façon plus générale quel crédit
convient-il d’accorder aux miracles ? Existe-t-il des critères objectifs
permettant de les définir ? Pour leur part les évangiles ne nous donnent
aucune réponse claire. [5]
Mais essayons de transposer le texte de
Mathieu à notre époque. Comment réagiraient nos contemporains si des centaines
de morts sortaient réellement de leur tombeau pour aller s’exhiber dans les
rues de nos cités ? Les journalistes, assurément, y verraient un
formidable scoop qui ne manquerait pas d’être surmédiatisé ; les
scientifiques, confrontés à une déroutante rupture épistémologique, y verraient
un magnifique sujet d’étude qui ferait date ; de façon plus générale on
imagine sans peine le traumatisme qui résulterait d’un tel évènement et sans
doute ce traumatisme serait-il accompagné d’une immense espérance.
Le témoignage de Paul
Si
les évangiles tentent de nous décrire des "apparitions matérielles",
force est de constater que les apôtres soutiennent une position bien
différente, tout particulièrement l’apôtre Paul.
Ainsi
peut-on lire en 1 Cor. 2,10-11 : « ce sont des choses que l‘œil n’a
point vues, que l’oreille n’a point entendues, et qui ne sont point montées au
cœur de l’homme, des choses que Dieu a préparées pour ceux qui l’aiment. Dieu
nous les a révélées par l’Esprit. »
En
Gal. 1,11 : « Je vous déclare, frères, que l’Évangile qui a été annoncé par
moi n’est pas de l’homme; car je ne l’ai ni reçu ni appris d’un homme, mais par
une révélation de Jésus-Christ. » (Voir aussi 2 Cor. 12,2-7)
En
Eph. 3,3-6 : « C’est par révélation que j’ai eu connaissance
du mystère sur lequel je viens d’écrire en peu de mots. [...] Il n’a pas
été manifesté aux fils des hommes dans les autres générations, comme il a été
révélé maintenant par l’Esprit, aux saints apôtres et prophètes
de Christ. »
On
retrouve la même idée en Col. 1,26-27: «...le mystère caché de tout temps et
dans tous les âges, mais révélé
maintenant à ses saints, ... »
Ainsi
assimilées à une sorte d’expérience intérieure, les "apparitions"
deviennent un domaine réservé à quelques "élus" : les « saints
apôtres et prophètes de Christ », « ceux qui aiment Dieu
».
Renversement
de perspective total : manifestement les apparitions ne peuvent pas avoir
été à l’origine de la Foi en la résurrection et dès lors tout s’éclaire :
la discrétion du ressuscité, le silence assourdissant des sources profanes, le
fait qu’il ne se soit pas manifesté à ses ennemis, les ambiguïtés des
apparitions. Comme nous le verrons plus loin, c’est, ultérieurement, lorsqu’on
cherchera à harmoniser la "Tradition orale", qu’on s’est créé des
"problèmes".
En Act. 22,6-9 Paul nous livre un
témoignage bien différent de ce que nous pouvons lire dans nos canoniques :
« Comme j’étais en chemin, et que j’approchais de Damas, tout à coup, vers
midi, une grande lumière venant du ciel resplendit autour de moi. Je tombai par
terre, et j’entendis une voix qui me disait : Saul, Saul, pourquoi me
persécutes-tu ? » (Remarquons que
cette apparition se produit dans une région du Proche-Orient [sur le chemin de
Damas], au moment de la journée où le soleil frappe le plus fort. Paul aurait
été, apparemment, victime d’une insolation sévère qui l’aurait plongé dans un
état délirant. Pour l’époque il n’y a rien d’étonnant qu’un tel incident ait pu
être interprété comme une apparition.)
Même
si, avant lui, d’autres frères en Christ ont eu des apparitions (1 Cor. 15,
5-8) jamais il ne fait de distinguo entre révélation, vision et apparition ou
entre apparition spirituelle et apparition matérielle. Il s’agit, pour lui,
d’une seule et même " réalité " car il n’y a qu’un seul et
même Esprit qui opère (1 Cor. 12,11). « Le Seigneur c’est l’Esprit; » (2
Cor. 3,17).
Observons
qu’en dépit de la nature confuse de ces "apparitions", qu’il vaudrait
mieux qualifier "d’expériences spirituelles", Paul se place sur un
pied d’égalité avec les autres apôtres. 1 Cor. 9,1 : « Ne suis-je pas
apôtre? N’ai-je pas vu Jésus-Christ notre Seigneur? »
En
2 Cor. 12,11 après avoir fait part de ses "visions", il déclare: «
(...) je n’ai été inférieur en rien aux apôtres » (v. 11).
Sans doute conscient du risque de paraître plutôt prétentieux, Paul essaye alors
de donner, autant que possible, des gages d’humilité : « …je suis
le moindre des apôtres, je ne suis pas digne d’être apôtre,… » (1 Cor.
15,8-9)
En
affirmant avoir vu le Seigneur, Paul ne cherche pas à prouver la Résurrection,
il revendique tout simplement une part d’autorité [6].
S’il précise que Christ est apparu à plus de « cinq cents frères à la fois »
(1 Cor. 15,6), c’est bien pour souligner que les douze n’ont pas le monopole
des visions. A la lecture des textes on s’aperçoit, d’ailleurs, que Paul est
assez fréquemment sujet à des visions.
Ainsi
peut-il se mettre en avant et délivrer son message en toute légitimité :
« Par la vérité de Christ qui est moi, je déclare (…) » (2 Cor.
11,10).
La prédication apostolique
Curieusement, pour prouver la résurrection, la prédication apostolique
ne s’appuie guère sur les apparitions.[7]
Pour annoncer la Bonne Nouvelle la prédication apostolique
s’appuie sur les trois piliers suivants :
- Les Écritures (preuve scripturaire)
- Le Saint-Esprit (preuve expérimentale)
- La foi (acte de confiance qui s’affranchit de toute preuve)
Les Écritures
La preuve scripturaire repose sur les écrits des prophètes.
Selon Paul, en Rom. 1,1-3 : « … pour annoncer
l’Évangile de Dieu qui avait été promis auparavant de la part de Dieu par
ses prophètes dans les saintes Écritures. »
En Actes 13,23-27 : « C’est de la postérité de David
que Dieu, selon sa promesse, a suscité à Israël un Sauveur, qui est
Jésus. (…) Car les habitants de Jérusalem et leurs chefs ont méconnu Jésus, et
en le condamnant, ils ont accompli les paroles des prophètes qui
se lisent chaque sabbat. » (et d’annoncer ensuite la résurrection)
En Actes 28,23 : « Paul
leur annonça le royaume de Dieu, en rendant témoignage (voir
Gal.1,11 ; 2 Cor. 12,2-7…) et en cherchant,
par la loi de Moïse et par les prophètes, à les persuader de ce
qui concerne Jésus.»
En Act. 17,2-3: « Pendant trois sabbats, il (Paul) discuta
avec eux, d’après les Écritures, expliquant et établissant que le
Christ devait souffrir et ressusciter des morts. »
La preuve scripturaire s’appuie, évidemment, sur une certaine
interprétation des Écritures.
Par exemple en Act. 2,24-25 : « Dieu l’a ressuscité, en le
délivrant des liens de la mort parce qu’il n’était pas possible qu’il fût
retenu par elle. Car David dit de lui : ... » (suit une citation du
Psaume 16,8-11).
En Act. 15,15-17 : « Et avec cela s’accordent les
paroles des prophètes, selon qu’il est écrit: ... » (suit une citation d’Amos 9,11-12)
Dans le Nouveau Testament, pour croire en Jésus-Christ, les
Écritures apparaissent, d’ailleurs, comme une preuve suffisante.
Act. 17,30-31: « Dieu, sans tenir compte des temps d’ignorance,
annonce maintenant à tous les hommes, en tous lieux,
qu’ils aient à se repentir [...] ce dont il a donné à tous une preuve
certaine en le ressuscitant des morts. » (Si la résurrection de Jésus
est une preuve certaine pour tous,
c’est évidemment parce qu’elle s’appuie sur des textes prophétiques.)
Très révélateur est le récit de Luc 24,13-27 où l’on nous montre
un ressuscité qui s’efforce de convaincre ses disciples, non par sa seule
présence, mais en s’appuyant sur les Écritures : « Alors Jésus leur dit
: O hommes sans intelligence, et dont le cœur est lent à croire les prophètes!
Ne fallait-il pas que le Christ souffrit ces choses, et qu’il entrât dans sa
gloire? Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua
dans toutes les Écritures ce qui le concernait. »
Le Saint-Esprit
- C’est le Saint-Esprit qui
rend témoignage, qui révèle. En 1 Cor. 2,10-11: « Mais, comme il est
écrit, ce sont des choses que l‘œil n’a point vues, que l’oreille n’a point
entendues, et qui ne sont point montées au cœur de l’homme, des choses que Dieu
a préparées pour ceux qui l’aiment. Dieu nous les a révélées par
l’Esprit. »
1 Jn. 5,6 : « et c’est l’Esprit qui rend témoignage,
parce que l’Esprit est la vérité. » (cf. aussi ; Act. 15,8-10 ; Rom.
9,1 ; Rom. 8,11).
- Le Seigneur c'est l'Esprit
(2 Cor.3,16-17). En Gal 4,6-7: « Dieu a envoyé dans vos cœurs l'Esprit de
son Fils... »
- Le Saint-Esprit a une
personnalité (Gal. 4,6; 1 Cor. 2,10-11; 1 Cor. 12,11; Rom. 8,27; Act. 13,2; ...
)
- Le Saint-Esprit est un
autre consolateur (ou paraclet) à la place du Sauveur absent (Jn.
14,16-17 ; Jn. 15,26; Jn. 16,7-14). Constatons que si Jésus annonce la
venue du Saint Esprit il ne souffle mot de ses futures apparitions.
- En invoquant le Saint-Esprit, les apôtres placent la foi en la
résurrection sur un terrain expérimental et, même s’il s’agit d’expériences
subjectives, les "témoins" ont la conviction intime qu’il s’agit de
manifestations bien réelles.
De toute évidence les "apparitions" sont à l’origine
d’un immense malentendu. Les termes utilisés peuvent prêter à ambiguïté ;
néanmoins on peut se demander si cette ambiguïté n’a pas été sciemment
entretenue par des générations de chrétiens… en toute bonne foi.
Ajoutons que par la preuve du Saint-Esprit, "les apparitions matérielles" de
nos évangiles deviennent parfaitement superflues, et cela expliquerait bien
pourquoi elles ne sont jamais mentionnées dans les épîtres.
La foi
- Selon Paul la foi
l’emporte sur la vue (2 Cor. 5,7-8; Tit. 1,1-2; ...)
« C’est en espérance que nous sommes sauvés. Or l’espérance
qu’on voit n’est plus espérance : ce qu’on voit peut-on l’espérer
encore? » (Rom 8: 24)
Ainsi, une manifestation visible du ressuscité rend impossible la
vraie conversion.
Selon Paul encore : «( …) la foi est une ferme assurance
des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas. » (Héb.
11,1-2)
Formule déconcertante mais
trouvaille géniale. De prime abord
l'évidence apparaît aux antipodes de la foi. Néanmoins la foi n'est pas le
doute, elle est au contraire certitude. Comme elle se veut certitude, la foi ne
peut être que lumineuse, ne peut que reposer sur des preuves indiscutables...
sinon ne paraîtrait-elle pas vaine ? Or, par un curieux retournement des
choses, ces preuves doivent présupposer obligatoirement la foi. En conséquence,
plus la foi est ferme, plus ces preuves sont nombreuses et éclatantes.
Dans la mesure où la foi
s’affranchit de toute preuve, elle se met hors de portée du contradicteur… et
s’érige, alors, de façon unilatérale, en preuve. Par sa foi le chrétien ne
devient-il pas, en effet, un témoin du Christ ? Si l’on ajoute à cela
l’effet du nombre, c’est-à-dire de tous les autres témoins qui forment
l’Église, on comprend que la position de l’incroyant ne soit guère confortable.
Mais revenons aux Écritures. La prédication des apôtres s’appuie,
manifestement, sur la foi et non sur des récits d’apparitions. « Or c’est
la parole de la foi que nous prêchons. » (Rom.10, 8-10; ...) C’est
avec insistance qu’ils soulignent l’importance de la foi. Ainsi le chapitre 3
de l’épître aux Galates.
Malgré les difficultés de croire, il apparaît bien que c’est la
même foi en Christ qui rassemble tous les fidèles (y compris les disciples,
témoins du Christ ressuscité).
Rom.1, 12 : « [...] Afin que nous soyons
encouragés ensemble au milieu de vous par la foi qui nous est
commune, à vous et à moi. » (Rom. 1,12; 2 Cor.
4.13-14; ...)
2 Cor. 4,13 : « Et comme nous avons le même esprit
de foi ... »
1 Thes. 4,14 : « Car si nous croyons que
Jésus est mort et qu’il ressuscité, croyons aussi que Dieu ramènera par
Jésus et avec lui ceux qui sont morts. »
Rappelons que « l’espérance qu’on voit n’est
plus espérance »
La foi n’est pas la croyance, nous dit-on, car la croyance est de
nature purement intellectuelle alors que la foi est de nature spécifiquement
spirituelle. La foi nous est ainsi présentée par les chrétiens comme un don de
Dieu (Eph. 2,8), comme l’œuvre du Saint Esprit (Jn. 3,3). Loin d’être limpides
ces affirmations sont pour le moins ambiguës, car parfaitement subjectives, et
cela ouvre, inévitablement, la porte à toutes sortes d’excès, d’égarements. En
2000 ans de christianisme, que d’ignominies, que d’atrocités, ont été commises
au nom de Jésus-Christ !
Si croire c’est faire un acte de confiance, croire c’est aussi, et
surtout, s’enfermer dans une certaine logique : la logique de la foi. Une
logique qui échappe à toute rationalité tout en s’en réclamant, une logique
recroquevillée sur elle-même, au service de vérités considérées, d’avance,
comme définitives, non négociables. Une logique intolérante qui impose ses
règles et qui dénie toute compétence au contradicteur, une logique aux
multiples artifices qui louvoie entre bonne et mauvaise foi, entre clarté et
obscurité ou ambiguïté [8] ; une logique qui cherche aussi
à décontenancer, à impressionner, par des formules-choc souvent simplistes, et
qui se pare d’un style grandiloquent… à défaut de preuves objectives.
Comme nous le verrons plus loin, c’est grâce à la logique de leur foi, que les disciples ont
interprété (à leur façon) les textes
prophétiques.
A titre d’exemple, cette logique peut prendre la forme d’un
raisonnement par l’absurde :
1 Cor. 15,13-19 : « S’il n’y a point de résurrection
des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si Christ n’est pas
ressuscité notre prédication est vaine et votre foi est vaine. » (idem
1Cor. 15,17-18)
1 Jn. 5,10-11: « Celui qui ne croit pas Dieu le fait
menteur, puisqu’il ne croit pas au témoignage que Dieu a rendu à son
fils. »
Rom. 10,14: « Comment
donc invoqueront-ils celui en qui ils n’ont pas cru? »
Cette logique peut être circulaire comme en Rom.10,11:
« Quiconque croit en lui ne sera pas confus. » (C’est on ne peut
plus logique : à partir du moment où l’on croit c’est qu’on ne doute
plus ; pour ne plus douter il suffit donc de croire. A l’inverse, si on
doute c’est qu’on ne croit pas vraiment)
Elle peut jouer, enfin, sur le registre de la dignité
outragée, ce qui légitime un discours intolérant : « Qui est
menteur, sinon celui qui nie que Jésus est le Christ? » (1 Jn. 2,22) « ...
la prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent; » (1
Cor. 1,18)
….ou sur le registre doloriste : « ... injuriés nous bénissons,
persécutés, nous supportons; calomniés, nous parlons avec bonté; nous sommes
devenus comme les balayures du monde, le rebut de tous, jusqu’à
maintenant. » (1 Cor. 4,10-13)
Le Salut par la Foi
Comme ni les preuves
"matérielles" de la résurrection, ni la foi du
"charbonnier", ni la puissance de l’Esprit Saint ne semblaient avoir
raison de l’incrédulité du peuple, les apôtres se devaient de trouver une
argumentation plus percutante. L’innovation viendra de Paul. Il comprend que
pour convaincre, l’Évangile a besoin d’une doctrine cohérente qui touche à la
fois à l’intelligence et au cœur. Le cœur étant par nature plus ouvert que
l’intelligence, la prédication se mue, alors, en pression psychologique… Rien
de plus efficace que d’inquiéter ou de culpabiliser son auditoire, surtout s’il
est en situation de faiblesse.
En Rom. 3,11 et 23 l’apôtre déclare : « Il
n'y a point de juste, pas même un seul ; nul n'est intelligent, nul ne cherche
Dieu, tous se sont égarés. " Ou encore " Tous ont péché et
sont privés de la gloire de Dieu. » « Le salaire du péché, c'est la mort
(la séparation d'avec Dieu) ; mais le don gratuit de Dieu, c'est la vie
éternelle par Jésus-Christ, notre Seigneur. » (Rom. 6,23). Selon ce
raisonnement Rédemption et foi deviennent indissociables. C'est parce qu'elle
sauve que la foi nous est présentée comme indispensable.
Désormais la foi n'est plus
une simple croyance fondée sur des preuves susceptibles d'être contestées, mais
un acte volontaire, une attitude, un engagement personnel. En intériorisant la
foi, les preuves prétendument objectives perdent de leur importance. En mettant
l’accent sur la subjectivité, la foi se projette dans un "ailleurs"
inaccessible à la critique.
Devenue un moyen (Éph.2,8) et
non plus seulement une fin en soi, la foi se révèle intransigeante. «
...Celui qui ne croit pas au fils ne verra point la vie, mais la colère de Dieu
demeure sur lui. » Le choix se trouve donc réduit à deux propositions :
être sauvé ou être perdu (définitivement).
Le malentendu des apparitions
Les signes de la Parousie
Que prêchait Jésus? Que l'avènement du
royaume de Dieu était imminent et que ce grand jour serait accompagné de signes
spectaculaires comme l'avaient annoncé les prophètes dans les Écritures:
« Vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des
songes, et vos jeunes gens des visions » (Joël 2,28). « Alors
s'ouvriront les yeux des aveugles, les oreilles des sourds; le boiteux sautera
comme un cerf et la langue du muet éclatera de joie » (Ésaïe 35,5-6).
« La terre tremblera, les cieux et la terre seront ébranlés, le jour
s'obscurcira » (Joël 2,10; Ag. 2,6; 2,22; Mi. 3,6), « les
habitants seront dans le deuil et se lamenteront » (Am. 8,9-10;
9,5), « ceux qui dorment dans la
poussière de la terre se réveilleront » (Dan. 12,2),
« les sépulcres s'ouvriront »
(Ez. 37,12; Ezé. 37,13-14), « le salut sera sur la montagne de
Sion » (Jo. 2,32) ou encore « l'Eternel régnera sur la
montagne de Sion pour toujours » (Mi. 4,7; Ab. 17; 21; Nah. 2,1;).
Or la correspondance
entre certains passages de nos évangiles et les signes de la Parousie est
troublante.
Selon
les évangiles
Mat.
27,45 ; 51-53 : A la mort de Jésus, les ténèbres sont sur toute la terre, le
voile du temple se déchire en deux puis la terre tremble, les rochers se
fendent, des morts ressuscitent,
sortent de leur sépulcre et se montrent à un grand nombre de personnes.
En Lc. 23,48 la foule s'en retourne se frappant la poitrine. En Mat. 28,16-18
Jésus pose le pied sur le mont des Oliviers et tout pouvoir lui a été donné
dans le ciel et sur la terre. Les disciples ont le pouvoir de chasser les
démons, de parler dans de nouvelles langues, d'avoir des visions, d'être
invulnérables aux breuvages mortels, aux piqûres de serpents et de scorpions,
de guérir les malades. (Marc 16,17-18; Luc 10,19; Act. 2,1-20;...)
L'attente
de la Parousie
En
réalité, pour l'Église primitive, l'accomplissement de la Parousie n'a jamais
cessé d'être une espérance, une espérance à très court terme mais dont
l'échéance sera continuellement
repoussée. Les versets abondent en ce sens.
-
Selon Jésus :
« Je
vous le dis en vérité, vous n’aurez pas achevé de parcourir les villes
d’Israël, que le fils de l’homme sera venu. »
(Mat. 10,23)
Mat.
24,34 : «… cette génération ne passera point que tout cela
n'arrive. »
Ou
encore: « Je vous le dis en vérité, quelques uns de ceux qui sont ici ne
mourront point, qu'ils n'aient vu le royaume de Dieu venir avec puissance.» (Mc.
9,1)
-
Selon les apôtres :
1
Cor. 15,51-52: « Voici, je vous dis un mystère : nous ne mourrons pas tous,
mais tous nous serons changés, en un instant, en un clin d`œil, à la dernière trompette.»
1
Jn.2, 18-19: « Petits enfants c'est la dernière heure... »
Héb.
10,37-38: « Encore un peu, un peu de temps, celui qui doit venir viendra, et
il ne tardera pas. »
Col.
3,4: « Quand Christ, notre vie paraîtra, alors vous paraîtrez aussi
avec lui dans la gloire.»
1
Cor. 1,7-8: « Dans l'attente où vous êtes de la manifestation de
notre Seigneur Jésus-Christ. »
Ti.
2,13-14: « ... en attendant la bienheureuse espérance, et la manifestation
de la gloire du Grand Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ. »
...
et d'exhorter les fidèles à la patience, à l'obéissance et à la vigilance car «
le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit. » (2 Pi. 3,10)
Jac.5,7
: « Soyez donc patients, frères, jusqu'à l'avènement du Seigneur. »
2
Thes. 2,6-7: « Et maintenant vous savez ce qui le retient, afin qu'il ne
paraisse qu'en son temps. »
2 Pi. 3,8-10 : « ...devant le
Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans comme un jour. Le Seigneur
ne tarde pas dans l'accomplissement de la promesse, comme quelques-uns le
croient ; mais il use de patience envers vous... »
Mat. 25,13 : « Pour ce qui est du jour
et de l'heure, personne ne le sait, ni les anges des cieux, mais le Père seul.
»
Les dérapages d'une telle espérance
Si les apôtres s'efforcent d'encourager
les fidèles dans leur espérance, force est de constater qu’ils ont le souci de
la vérité car ils condamnent, tout autant, les mensonges, les fausses
espérances.
En 2 Thes. 2,1-3: «
Pour ce qui concerne l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ et notre
réunion avec lui, nous vous prions frères, de ne pas vous laisser ébranler dans
votre bon sens, et de ne pas vous laisser facilement ébranler, soit par quelque
parole ou par quelque lettre qu'on dirait venir de nous, comme si le jour
du Christ était déjà là. »
En 2 Tim. 2,17-18: «
De ce nombre sont Hyménée et Philète qui se sont écartés de la vérité, disant
que la résurrection est déjà arrivée, et qui renversent la foi de
quelques-uns. » Le texte de Matthieu
apparaît ainsi directement visé par Paul.
Rappelons les injonctions
prononcées par Jésus :« Si quelqu’un vous dit alors : le Christ
est ici, ou : Il est là, ne le croyez pas. [...] Si donc on vous dit :
voici, il est dans le désert, n’y allez pas; voici il est dans les
chambres, ne le croyez pas. En effet, comme l’éclair part de l’orient et
brille jusqu’en occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. »
(Mat.24,23-27) (A noter l’insistance sur la localisation : «ici», «là»,
«dans le désert», «dans les chambres ». Détails qui accréditent
la thèse des fausses apparitions du Christ ressuscité. [9]
Dans cette confusion chronologique, Jésus serait devenu le porte-parole des
apôtres.)
Constatons, qu’à tout moment, dans les épîtres, les apôtres
dénoncent les fables et les fausses doctrines. Tout se passe comme si la
"vérité" apostolique avait eu le plus grand mal à s’imposer dans les
premières communautés chrétiennes.
2 Cor.2,17 : « Car nous ne falsifions point la
parole de Dieu comme font plusieurs; mais c'est avec sincérité, mais
c'est de la part de Dieu, que nous parlons en Christ devant Dieu. »
1 Thes. 2,3-4 : « Car notre prédication ne repose ni
sur l'erreur, ni sur des motifs impurs, ni sur la fraude; [...]
ainsi nous parlons, non comme pour plaire à des hommes, mais pour plaire à Dieu
[...]
2 Pi. 1,16 : « Ce n'est pas, en effet, en suivant des fables
habilement conçues, que nous vous avons fait connaître la puissance et
l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ ... » (suit un témoignage qui n'a rien à voir avec
des apparitions du ressuscité)
2 Tim. 4,3-4 : « Car il viendra un temps où les
hommes ne supporteront pas la saine doctrine; mais, ayant la démangeaison
d'entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon
leurs propres désirs, détourneront l'oreille de la vérité, et se tourneront
vers les fables. »
Tite 1,13-14 : « C'est pourquoi reprends-les sévèrement,
afin qu'ils aient une foi saine, et qu'ils ne s'attachent pas à des fables
judaïques et à des commandements d'hommes qui se détournent de la
vérité. »
1 Tim.1,3-4 : « ... afin
de recommander à certaines personnes de ne pas s'attacher à des fables
et à des généalogies sans fin,[10]
qui produisent des discussions plutôt qu'elles n'avancent l’œuvre de Dieu dans
la foi. »
Jude 8 : « ...ces hommes aussi, entraînés par leurs rêveries,... »
2 Tim.2,8-9 : « Souviens-toi de Jésus-Christ, issu de la
postérité de David, ressuscité des morts, selon mon Évangile,
... »
2 Cor. 11,3-4 : « ... je crains que vos pensées ne se
corrompent et ne se détournent de la simplicité à l'égard
de Christ. »
1 Tim. 6,3-4 : « Si quelqu'un enseigne de fausses
doctrines, et ne s'attache pas aux saines paroles de notre Seigneur
Jésus-Christ et à la doctrine qui est selon la piété, il
est enflé d'orgueil, ... »
Act. 20,29-31 : « Je sais qu'il s'introduira parmi vous,
après mon départ, des loups cruels qui n'épargneront pas le troupeau, et qu'il
s'élèvera du milieu de vous des hommes qui enseigneront des choses
pernicieuses, pour entraîner les disciples après eux. »
Gal. 1,9 : « ... si quelqu'un vous annonce un autre
Évangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème! »
1 Tim. 4,7-8: « Repousse les contes profanes
et absurdes, exerce-toi à la piété; »
1 Tim. 6,20-21 : « O Timothée, garde le dépôt, en évitant
les discours vains et profanes, et les disputes de la fausse science dont font
profession quelques-uns, qui se sont ainsi détournés de la foi. »
2 Tim. 2,16 : « Evite les discours vains et
profanes; »
2 Tim. 2,23-24 : « Repousse les discussions folles et
inutiles, sachant qu'elles font naître des querelles. »
Heb. 13,9 : « Ne vous laissez pas entraîner par des
doctrines diverses et étrangères; »
Éph. 4,14 : « ... afin que nous ne soyons plus des
enfants, flottants et emportés à tout vent de doctrine »
2 Jn. 9 : « Quiconque va plus loin et ne demeure pas dans
la doctrine de Christ n'a point Dieu; »
La foi primitive
La Croix a mis un terme à l’aventure du
Nazaréen.[11]
Elle a été un désaveu cinglant pour les disciples et « la logique
voulait que tout s’arrêtât là » comme l’écrit Charles Guignebert ("Le
Christ", Albin Michel, 1969). Privée de son prophète, cette
secte messianique paraissait condamnée à brève échéance. Or il n’en a rien été.
Bien au contraire.
Comment expliquer un tel retournement de
situation ?
De toute évidence, les disciples ont été bouleversés par la mort
de leur maître, ébranlés dans leurs certitudes. Néanmoins il serait exagéré de
parler de déroute. Flottement serait plus exact. N'oublions pas que ces hommes
sont des Juifs qui sont accoutumés de penser que du plus grand mal va peut-être
sortir le plus grand bien. Ajoutons qu'ils ont été profondément marqués par le
charisme du Nazaréen ainsi que par le contenu de son message, qu'ils ont une
foi absolue en Dieu et en sa Parole.
La découverte inattendue du tombeau vide va être le point de
cristallisation de l’espérance chrétienne (Lc. 24,22-24; Matt. 28,6-7)
Si, dans un premier temps, les disciples, supposent que le corps a
été dérobé, très vite leurs interrogations restent sans réponses. Ils sont
désemparés. Qu’est-il advenu du corps, qui sont donc les coupables ? « (…)
ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils
l’ont mis. » (Jn. 20-13)
Une polémique s’installe (cf. Mat. 28,13-15). Les disciples
soupçonnent les autorités juives mais la rumeur publique retourne l‘accusation
contre les disciples.
En l’absence de preuves et dans l’impossibilité de retrouver le
corps, cette disparition se transforme en mystère, mystère d’autant plus épais
que le climat émotionnel est extrême. Leurs esprits sont survoltés, révoltés.
Ils veulent comprendre, trouver du sens à tout cela. Leur foi en l’imminence du
royaume de Dieu aurait-elle été vaine ? Avec leur Maître n’avaient-ils pas
guetté les signes de son accomplissement ? Que restait-il sinon la Parole de
Dieu (c’est-à-dire les Prophètes) ? C’est donc le cœur plein de détermination
qu’ils "sondent" les Écritures ou plutôt c’est par la foi qu’ils vont
trouver de nouvelles raisons d’espérer… Une foi nouvelle émergera qui se
consolidera en se majorant.
S‘enfermant donc dans une logique de foi, ils se construisent tout
un système d’explications qu’ils assimilent à la Parole de Dieu. Dès lors que cette
foi était ancrée en eux toute explication rationnelle était définitivement
écartée.[12]
Essayons de reconstruire le raisonnement des disciples :
- Jésus est un homme (Act. 2,22-23) qui a été livré selon
la prescience de Dieu et crucifié. L'Esprit de l’Eternel reposait sur lui (És.
11,1). Dieu a annoncé par la bouche de ses prophètes que Jésus devait souffrir.
Jésus est le serviteur souffrant de l'Éternel (Act. 3,17-18 ; És. 53,3-5 ; És.
53,10 És. 66,2). L'Éternel a permis
que son serviteur soit brisé, humilié et tué pour le péché de tous. Il a été
mené comme une brebis à la boucherie (Act. 8.32-33 ; És. 53). Les israélites
ont agi par ignorance.(Act. 3,17-18 ; Act. 13,27).
- La résurrection de Jésus a été annoncée par les prophètes[13].
(Os.6,1.) Dieu l'a délivré des liens de la mort parce qu'il n'était pas
possible qu'il fut retenu par elle. Il n’a pas permis que son bien-aimé
voie la corruption (Act. 13,35 ; Ps. 16,10-11).
- Le tombeau vide est la preuve matérielle que Jésus est
bien ressuscité.[14]
(Mat.28. 6-7)
Dieu a élevé Jésus en le ressuscitant. Par sa résurrection il a donc triomphé de la mort. Il est le premier-né
d'entre les morts (És. 25,8; Ps. 16,8-11; Act. 26,22-23).
Cette résurrection constitue en fait les prémices de la
résurrection générale. Le Jour de l'Éternel est donc tout proche. (És.
25,8; És. 26,19; Os. 13,14; 1Cor. 15,54; Dan. 12,2 ; Ez. 37,12-13) Croire en
l'imminence de la résurrection des saints c'est donc d'abord croire en la
résurrection de Jésus. (1 Cor. 15, 13-19)
- Jésus est le bien-aimé (Ps. 16,10), le messager de l'Éternel
(Mal. 3,1) , un prophète comme Moïse (Act. 3,22-23; Deut. 18.18-19) le fils de
Dieu (Act. 13,33; Ps. 2,7). Dieu l'a récompensé pour son sacrifice. Il l'a
désigné comme Messie (= Christ) (Act. 2, 36) et il va revenir[15].
Si le ministère terrestre de Jésus a été marqué par l'humilité et le
dépouillement, son ministère céleste est désormais marqué par l'honneur, la
puissance et la gloire (1Pi. 1,20-21 ; Ps. 2,7-12 ; 2 Sam. 7,12-13;). La
personne de Jésus subit ainsi toute une transposition.[16]
Pour les disciples la revanche est éclatante. Si avant leurs yeux
étaient obscurcis, maintenant, ce mystère caché pendant des siècles a été
manifesté par les écrits des prophètes (Rom. 16,25-26). Ce qui apparaissait
comme un échec s’était, soudain, transformé en victoire. [17]
Leur raisonnement va se transformer en certitudes car « il
est impossible que Dieu mente [...], le seul refuge a été de saisir l'espérance
qui nous était proposée. » (Héb. 6,18)
Enfermés dans leur logique, cramponnés à leurs certitudes, les
apôtres vont se raidir. « Qui est menteur, sinon celui qui nie que
Jésus est le Christ ? » (1 Jn. 2,22) « ... la prédication de
la croix est une folie pour ceux qui périssent ; » (1 Cor. 1,18). Et
de reprocher aux incrédules d'avoir « le cœur endurci ».
Les apôtres vont aussi se présenter comme des victimes. 1 Cor.
4,10-13:
« ... injuriés nous bénissons, persécutés, nous supportons;
calomniés, nous parlons avec bonté; nous sommes devenus comme les balayures du
monde, le rebut de tous, jusqu'à maintenant. »
Si ces découvertes scripturaires répondaient aux premières
interrogations, elles ne pouvaient manquer de susciter de nouvelles
interrogations, ce qui devait conduire à de nouvelles recherches et bien sûr à
de nouvelles découvertes.[18]
Un processus était ainsi engagé par les disciples qui sera poursuivi par
plusieurs générations de chrétiens, jusqu'à ce que l'Église réagisse,
tardivement, à certains excès.
Ainsi, en l’absence de toute biographie de Jésus[19] et, partant de l'idée qu’il était l'accomplissement des
prophéties, il était, évidemment, tentant de "reconstituer" la vie du
personnage. Pris dans cette logique de la foi, le croyant était persuadé de se
rapprocher de la "vérité historique" et cette vérité était, bien
entendu, inattaquable, puisque fondée sur les sacro-saintes Écritures.
Certaines petites phrases de nos évangiles laissent d’ailleurs entrevoir cette
démarche bien singulière.
Par exemple Mat. 21,4-5: « Or, ceci arriva afin que
s'accomplit ce qui avait été annoncé par le prophète: » (suit une
citation de Zach. 9,9) ou bien en Mc. 14,49: « Mais c'est afin que les
Écritures soient accomplies. »
En étudiant attentivement la correspondance entre les prophéties
et leur accomplissement, on peut émettre des doutes sur leur pertinence.
Par exemple, Ésaïe 53 est sensé annoncer le ministère terrestre et
céleste de Jésus-Christ. Si tout semble à peu près cohérent jusqu'au verset 10,
les choses deviennent beaucoup moins claires par la suite. Il nous est dit, en
effet, qu'après sa mort il verra une postérité et qu'il prolongera ses jours.
Voir une postérité c'est avoir une descendance et prolonger ses jours ne
signifie pas bénéficier de la vie éternelle. Plus loin nous apprenons qu'il
recevra sa part de
butin avec les puissants (v. 12). Pourquoi butin ? Qui sont les puissants ? On
ne voit pas très bien le rapport.
A y regarder de plus près ces prophéties ne sont que des passages
tirés de leur contexte.
Autre exemple en Zach. 9,9: « Pousse des cris de joie,
fille de Jérusalem! Voici, ton roi vient à toi; il est juste et sauveur, il est
humble et monté sur un âne, sur un âne, le petit d'une ânesse. » Cette prophétie est sensée s'être réalisée en
Math. 21,1-11. Si nous poursuivons la lecture de Zacharie on nous parle de la
destruction des chars d'Ephraïm et des chevaux de Jérusalem, de captifs qui
doivent retourner dans une forteresse. Replacée dans son contexte cette
prophétie s'accorde finalement assez mal.
Une fable devenue dogme
Il est manifeste que ce ne sont pas les
"apparitions" qui ont provoqué la foi en la résurrection ; elles
n’en ont été, tout au plus, que la confirmation. Un cheminement où la foi s’est
nourrie d’elle-même. En effet, si les disciples ont été persuadés "avoir
vu" le Seigneur ressuscité, c’est d’abord parce qu’ils ont cru que leur
Maître était ressuscité, mais cette foi reposait elle-même sur la conviction
que tout était annoncé dans les Écritures, conviction qui à son tour s’appuyait
sur la certitude que les Écritures étaient la parole de Dieu, donc la Vérité.
Si
Jésus était vivant il était malheureusement invisible. Situation ô combien
frustrante ! Pour ces fidèles de la première heure, assoiffés de
certitudes, un seul recours : prier. Prier avec ferveur et obstination
dans l’espoir que l’Éternel ou Jésus se manifeste, prier pour des réponses
lumineuses, consolantes, pour des confirmations indiscutables. Prier en se
laissant toucher, illuminer par le Saint Esprit, cette puissance d’en Haut,
surnaturelle, ce pont entre le ciel et la terre (tout comme l’éclair ou les
rayons du soleil, ce que l’Évangile appelle des « langues de
feu. »). De toute évidence, l’atmosphère de profonde exaltation
mystique semble être à l’origine de manifestations spirituelles (glossolalie,
visions, songes, prophéties…). Happening délirant, qui laisse les observateurs
perplexes, convaincus que ces individus sont dans un état d’ébriété avancé
(Act.2, 13). Pour les disciples rien de bien alarmant ou d’embarrassant, du
moins au départ. Ces manifestations ne faisaient-elles pas partie des dons de
l’Esprit annoncés par les prophètes… lorsque les Temps de la fin seraient
proches ? (Act. 2, 14-21)
Dans
la communauté primitive ces "contacts" directs avec le divin ou avec
le Ressuscité vont faire recette, et, la foi aidant, ou pour les besoins de la
propagande, ou pour asseoir son autorité personnelle, certains de ces
"contacts" ont très bien pu être qualifiés d’apparitions, à moins que
le terme ne désigne, de façon plus générale, une catégorie bien particulière de
manifestations spirituelles… Nous sommes loin, en tous les cas, de la légende
dorée.
Moment d’excès, moment de contagion mystique, où un certain nombre
de fidèles ont pris leurs désirs pour la réalité. C’est dans ce contexte que
des rumeurs ont commencé à circuler qui affirmaient que le jour de Christ était
déjà là, que Christ s’était même manifesté, que des morts aussi étaient ressuscités…
A
l’exultation des uns répondait le scepticisme des autres et c’est dans ce camp
que se sont rangés les apôtres [20].
Très vite ils ont pris conscience que ces fausses nouvelles menaçaient la
cohésion de l’Église, menaçaient la crédibilité même de leur Évangile. Aussi
les ont-ils condamnées fermement espérant rétablir leur vérité.
L’Évangile
prêché par les apôtres aurait donc été, très tôt, corrompu par « des contes profanes et absurdes » ? [21]
Pour un chrétien d’aujourd’hui, il est inconcevable que les apôtres
aient ainsi pu échouer dans le rétablissement de la saine doctrine.
Tout
d’abord observons qu’ils vivaient une espérance à court terme, qu’il leur était
donc impossible de se projeter dans un futur à long terme. Tout montre, aussi,
qu’ils se sont battus pour défendre leur Évangile mais en gardant de la
distance et en faisant preuve d’une grande prudence. Ne voulaient-ils pas
éviter « les discussions folles et inutiles » qui « font
naître des querelles » ?
Combat,
somme toute, inutile et ils s’y étaient résignés. Ces fables et ces fausses
doctrines ils les percevaient comme un signe des temps (1Tim. 4,1-2 ; 2
Tim. 4,3-5). A quoi bon, donc, s’acharner à les combattre. N’avaient-ils pas la
profonde conviction que la "Vérité" finirait par triompher très
bientôt ?
Ajoutons
qu’avec le temps et l’éloignement géographique ces mises en garde ont été largement
incomprises. La Foi (crédule) empêchait toute compréhension rationnelle.
Comme
l’Évangile primitif comportait au départ beaucoup de zones d’ombre (de
"mystères") et qu’il n’avait, pas encore, son caractère dogmatique,
l’imagination des fidèles a comblé les inquiétudes de la Foi. La soif de
merveilleux a donné un écho positif à ces fables colportées, bien souvent, sous
le manteau. Crédulité qui reflétait la piété des "simples", la piété
de ceux qui ne demandaient qu'à en croire plus. C’est sur ce terreau que s’est
développée la légende évangélique. Une légende bâtie sur des rumeurs, des
témoignages invérifiables, mais aussi sur des raisonnements simplistes, des
affirmations gratuites, des interprétations douteuses des textes prophétiques.
La rigueur historique importait peu. Il était alors courant d’ajouter foi à des
faits singuliers, voire fantastiques. Un récit faisait autorité simplement
parce qu’il paraissait familier ou qu’il avait été transmis oralement depuis
des générations.[22]
Notons que cette
tradition orale n'exclut nullement la présence, dès le 1er siècle, d'écrits
"évangéliques" dans les communautés primitives, écrits qu'il ne
faudrait cependant pas confondre avec nos évangiles dans leur version
définitive. Recopiés par plusieurs générations de scribes, ces manuscrits ont
été, dans une très large mesure, rectifiés ou complétés selon
"l'inspiration" du moment, selon les évolutions de la foi chrétienne[23],
selon les données fournies par la sacro-sainte "Tradition orale" [24],
c’est-à-dire selon des critères fort contestables pour un historien actuel.[25]
En
l’absence de tout canon, la légende évangélique s’est amplifiée au 2e
et 3e siècle. Un foisonnement de récits merveilleux[26]
qui s’appropriaient les périodes obscures de Jésus. Pour les autorités
religieuses la situation devenait de plus en plus préoccupante. Ces récits ne
portaient-ils pas atteinte à la crédibilité de l’Évangile ?
Finalement,
sous la poussée conjuguée des gnostiques dont les évangiles pullulaient, et des
marcionites qui, au contraire, prétendaient réduire l'Ecriture sainte à
quelques épîtres de Paul et à un évangile de Luc mutilé, les églises se sont
mises à dresser la liste officielle des œuvres inspirées par la vraie foi avec
le discernement que l’on connaît.
Après
quelques flottements, le Canon [27]
n’a trouvé sa forme définitive qu’au IVe siècle… c’est-à-dire trop tard. Les
« contes profanes et absurdes »
dénoncés par les apôtres avaient depuis longtemps infiltré l’Évangile. Devenu,
désormais, histoire sainte, l’Évangile se figeait en quatre livres
distincts : nos évangiles. Ainsi forte d’un "corpus"
évangélique, l’Église s’autorisait à rejeter les autres écrits, ceux dont
l’authenticité lui paraissait douteuse ou non divinement inspirés, et qu’il valait
alors mieux cacher sous le qualificatif d’apocryphes.
En
triomphant de "l'Erreur" la "Vérité" était devenue dogme.[28]
Pour
les théologiens des siècles futurs que de trésors d’ingéniosité seront
nécessaires pour éclairer cette
"Vérité" !
] ] ]
[1] Dans l’évangile de Pierre, qui est une amplification
littéraire du récit synoptique, on y relève un trait particulier qui peut
difficilement être mis au compte de son rédacteur. C’est l’idée que, de la
tombe, Jésus est directement retourné au lieu d’où il était venu, c’est-à-dire
au ciel. Alors que tous les autres récits de découverte du tombeau vide que
nous possédons, contiennent une annonce de christophanie, le récit de l’évangile
de Pierre n’en contient pas et même paraît exclure toute idée de christophanie
par l’affirmation de Jésus monté au ciel.
[2] Ce récit suscite toutes sortes de
difficultés. Comment les membres du Sanhédrin ont-ils pu savoir que trois jours
après sa mort il ressusciterait ? Jésus n’a jamais parlé de sa résurrection
d’une manière précise en présence de ses ennemis. Pour empêcher une imposture de la part des disciples, une garde a donc été placée devant le tombeau. A l’aube, nous dit-on, survient un
grand tremblement de terre et un ange de lumière descend du ciel pour rouler la pierre. On
nous précise que « les gardes tremblent de peur et deviennent comme morts »
(Mat.28, 4). Puis ils vont trouver les principaux sacrificateurs pour
raconter leur mésaventure. L’attitude des autorités
juives apparaît déconcertante. Comment ces hommes, dont on ne peut penser à
priori qu’ils étaient naïfs, pouvaient-ils accepter avec autant de facilité les
déclarations de la garde? Aucun scepticisme de leur part. Ils auraient du réagir
par la colère à de telles allégations: « Vous mentez, vous avez dormi, vous
avez laissé voler le corps. Vous allez payer cher votre négligence. » Si
l’on admet que les membres du Sanhédrin ont effectivement cru en la
résurrection de Jésus, ils auraient du se montrer effondrés, or on ne
nous décrit aucune manifestation de consternation, de repentir. Au lieu de cela
ils ordonnent aux soldats de mentir, de dire qu’ils ont dormi et laissé voler
le corps. Ils leur donnent une forte somme d’argent et promettent de les
excuser auprès du gouverneur (alors qu’il y a eu manquement grave au service.
Ces garanties paraissent donc bien peu crédibles. Par ailleurs on voit mal
comment ces hommes, profondément traumatisés par ce qu’ils avaient vu, étaient en état de se
laisser corrompre pour répandre une fausse rumeur, qui plus
est, une rumeur qui leur faisait du tort.). On peut s’interroger
sur la crédibilité d’un tel mensonge. Mentionnons à ce titre la
réflexion de Saint Augustin: « Si les soldats dormaient, que pouvaient-ils
voir? et s’ils n’ont rien vu, quelle peut être la valeur de leur témoignage? » Les
membres du Sanhédrin, qui voulaient éviter une imposture, se font imposteurs à
leur tour. En plus un tel mensonge les couvre de ridicule. Ainsi, le corps
aurait été dérobé par les disciples, à la barbe des autorités, en
dépit des précautions
prises ! Vraiment ce n’est pas
sérieux ! L’incrédulité des autorités posant problème, les théologiens
ont préféré invoquer l’endurcissement. Force est de constater que la thèse de
l’endurcissement ne se vérifie nulle part dans les textes. A l’annonce de la
résurrection par les disciples, les autorités juives se montrent en effet,
surprises et indignées. Manifestement elles ne sont pas au courant après la
proclamation de Pierre (Act. 4, 8-14). L’épisode avec Gamaliel apparaît à cet
égard significatif. Ce docteur de la loi parvient à apaiser le commandant du
temple et les principaux sacrificateurs en leur demandant de se montrer d’un
scepticisme vigilant (Act. 5, 33-39). La prédication des apôtres confirme
d’ailleurs ce point de vue. S’adressant au peuple, Pierre déclare (après avoir
annoncé la Résurrection): « Et maintenant,
frères, je sais que vous avez agi par ignorance, ainsi
que vos chefs. » (Act. 3, 17-18) Observons que, nulle part
ailleurs, dans le Nouveau Testament, nous ne trouvons la moindre mention d’une
garde devant le tombeau ni d’une quelconque tromperie de la part des autorités
juives. Le caractère non-apostolique de cette anecdote paraît évident. En revanche,
la rumeur de l’enlèvement du corps par les disciples semble bien réelle. C’est
d’ailleurs, sans doute, pour réfuter cette calomnie que les chrétiens ont
imaginé cette légende. Dès lors ils pouvaient répondre hardiment à cette
calomnie par la question: «Comment le corps aurait-il pu être dérobé
puisqu’une garde avait été postée devant le tombeau et que la pierre était
scellée? »
[3] L’argumentation chrétienne peut, ainsi, glisser
rapidement vers le sophisme : « Si vous ne pouvez pas prouver que nous
sommes dans l’erreur, c’est donc que nous sommes dans la vérité. »
[4] Les évangiles auraient été écrits entre l’an
70 et 100, les épîtres les plus anciennes vers l’an 50. Précisons qu’il
n’existe, à ce jour, de ces textes, aucun document autographe. Ils ne sont que
des copies de copies de copies… et tout montre qu’ils ont subi, certaines
"transformations" (cf. notes de bas de page p. 30). Ajoutons que,
dans les premières communautés chrétiennes, les lettres des apôtres faisaient
davantage autorité que les évangiles qui se présentaient comme issus d’une
longue tradition orale et dont les contours étaient mal définis. Les évangiles
mettront ainsi beaucoup plus de temps à s’imposer.
[5] Dans les évangiles, les miracles de Jésus
apparaissent comme des manifestations surnaturelles, tellement spectaculaires
qu’elles suscitent l’admiration ou l’effarement des foules. Même les disciples
sont sidérés par ce qu’ils voient. Ces miracles exhibés comme des signes de
puissance ou d’élection divine, permettent ainsi au Fils de Dieu de se faire
connaître et « d’acquérir une grande renommée ». Pourtant,
très vite, le lecteur se heurte à des difficultés. Jésus
semble ne pas comprendre l’étonnement qu’il suscite (Mc.5, 43). Il prétend même
que faire des miracles est à la portée de n’importe qui, à condition d’avoir la
foi « comme un grain de sénevé». « Tout ce
que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez reçu, et vous le verrez
s’accomplir. » (Mat.
17,19-20 ; Mc. 11,22-24 ; Lc.
17 : 5-6). Il encourage d’ailleurs dans ce sens ses disciples
(Mat.10,5-8). En somme il banalise le miracle. Si Jésus guérit des foules
entières, ressuscite des morts, change l’eau en vin, multiplie des pains,
marche sur les eaux, arrête une tempête, il recommande aussi, sévèrement, de ne
pas le faire savoir (Mat.8,4 ; Mat.9,30-31 ; Mat.12,15-16 ;
Mc.5,43). Pourquoi un tel souci de discrétion si son intention était de se
faire connaître ? C’est d’autant plus surprenant que Jésus peut parfois adopter
une position tout à fait inverse. En Mat.11,2-6, à la question de savoir s’il
est le Christ, Jésus répond : « Allez rapporter à Jean ce que
vous entendez et ce que vous voyez : les aveugles voient, les boiteux
marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts
ressuscitent, et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. »
(injonction autoritaire pour un discours convenu, ce qui est tout le contraire
d’un témoignage spontané… mais comment pouvait-il en aller autrement puisque
ces versets ne sont qu’une relecture d’ Es. 35,5-6.) Alors que les évangiles
tentent d’accréditer la thèse selon laquelle les miracles sont des preuves
manifestes de messianité, ils nous apprennent, toutefois, que Jésus a mis en
garde ses disciples contre les faux Christs, les faux prophètes, car,
annonce-t-il : « ils feront des prodiges et des miracles, au point
de séduire même les élus » (Mat.24,24) Constatons que les miracles de
Jésus dépendent souvent de la foi des gens qu’il côtoie, à tel point qu’on peut
se demander si ce sont ses pouvoirs qui produisent les guérisons.
Le simple fait de toucher son vêtement suffit à guérir (Mc.6,56). Mais s’agit-il vraiment de foi ? Lorsque
les évangiles nous disent « qu’il ne fit pas beaucoup de miracles dans
ce lieu » c’est pour ajouter aussitôt « à cause de leur
incrédulité » (Mat.13,57-58). Du reste le manque de foi (ou de
crédulité ?) semble beaucoup contrarier Jésus (Mat.8,26 ;
Mat.14,31-32 ; Mat.17,17-18). En Math.12,38, alors que les pharisiens demandent un
miracle, Jésus, agacé, leur répond : «Une génération méchante et
adultère demande un miracle ; il ne lui sera donné d’autre miracle
que celui du prophète Jonas. » (Math. 12,39). Jésus le thaumaturge
accumule donc bien des contradictions. Si ses miracles laissent croire, par
moments, qu’il est Tout-puissant, en d’autres circonstances il se révèle
particulièrement impuissant, notamment sur la croix : « Mon Dieu,
mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Math. 27,46-47) S’il
n’hésite pas à "donner" dans le spectaculaire devant des foules
béates d’admiration, il n’en cherche pas moins à se montrer discret… au point
d’interdire qu’on ébruite ses exploits ou même qu’on révèle qu’il est le
Christ. S’il a des pouvoirs surnaturels sensés authentifier son statut de
Messie, il n’en laisse pas moins entendre que des hommes ordinaires peuvent
disposer des mêmes pouvoirs. Observons que dans les épîtres les apôtres
semblent totalement ignorer les miracles de Jésus et que les sources profanes
n’ont guère plus d’informations à nous apporter, ce qui pose un réel problème.
Or, si l’on se place du point de vue du croyant des générations post
apostoliques, les apôtres ainsi que les nombreux autres "témoins",
savaient, assurément, ce qui s’était réellement passé. Comment expliquer que
des récits aussi spectaculaires n’aient jamais été confirmés par des
témoignages directs dûment répertoriés ? Une seule
explication : les témoins se sont tus, ce qui paraît inexplicable… sauf si
l’on admet que c’est Jésus qui avait formellement interdit d’en parler (quant
aux ennemis de Jésus l’explication est simple : ils étaient aveuglés ou
endurcis). Explication qui trouve très vite ses limites. Pourquoi cette étrange
interdiction ? De plus si tous les témoins avaient obéi, comment aurait-on
eu connaissance des miracles du Seigneur? Bien embarrassant en
vérité ; certes, l’interdiction pouvait passer pour un mystère qui
relevait de la seule compétence du Fils de Dieu (il n’était donc pas assujetti
à cette obligation), mais le rédacteur de l’Évangile se devait d’apporter une
réponse claire sur l’origine de ces récits. Celle qui a été retenue est
étonnante par sa naïveté : si nous avons eu connaissance des miracles du
Seigneur, c’est (fort opportunément) parce que des témoins ont, délibérément, désobéi.
Supposition qui, la foi aidant, est devenue affirmation. Ainsi peut-on lire en
Mc. 7 : 36-37 : « Jésus leur recommanda de n’en parler à
personne ; mais plus il le leur recommanda, plus ils le publièrent. »
Autre problème, non résolu : pouvait-on demander à des foules entières (et
enthousiastes) de se taire ? A vouloir concilier "Tradition
orale", lettres apostoliques et sources profanes ou si l’on préfère,
"légende évangélique" et "vérité historique", nombre de
difficultés seraient donc apparues. Par souci de "vérité" ou de
cohérence, les scribes du christianisme naissant (qui étaient, rappelons-le,
des croyants) se seraient, alors, efforcés de trouver des
"explications" convaincantes. Sans doute ont-ils cru à l’inspiration
divine mais, si l’on prend du recul par rapport aux textes, le résultat relève
plutôt du bricolage (un bricolage pour le moins simpliste) avec bien des
obscurités laissées sans solutions. Qu’à cela ne tienne, ces obscurités sont
devenues des mystères à accepter par la foi.
[6] En 1 Cor. 15, 1-8 Paul dresse la liste des témoins du Christ
ressuscité, sans plus. L’apôtre préfère s’en tenir à
des raisonnements très subtils pendant tout le reste du chapitre : « Comment quelques-uns parmi vous disent-ils
qu’il n’y a point de résurrection des morts ? S’il n’y a point de
résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si Christ
n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, et votre foi est vaine.(…)
Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous mourrons.
(…) Mais quelqu’un dira : Comment les morts ressuscitent-ils, et avec quel
corps viennent-ils ? Insensé ! ce que tu sèmes ne reprends point vie,
s’il ne meurt. (…) Il y a aussi des corps terrestres et des corps
célestes ; mais autre est l’éclat des corps célestes, autre celui des corps
terrestres. (...) Toute chair n’est pas la même chair ; mais autre est la
chair des hommes, autre celle des quadrupèdes, autre celle des oiseaux, autre celle des poissons. (…) » (1 Cor. 15, 12-58). Si Paul avait la possibilité
de prouver la Résurrection grâce aux apparitions matérielles, en s’appuyant sur
des témoignages précis, authentifiés, répertoriés, pourquoi se donne-t-il
tellement de mal à disserter sur le sujet ? De toute évidence parce que ce type
de témoignage n’a jamais existé. Ce qu’il évoque, en revanche, ce sont des
visions, c’est-à-dire des témoignages subjectifs (dont sa propre
expérience) et on peut présumer qu’il en était bien conscient. Dans ces
conditions, il aurait été irréaliste et même malhonnête, de faire passer les
apparitions pour des preuves éclatantes, indiscutables. Aussi, convient-il, à
l’exemple de Paul, de ne pas donner trop d’importance aux témoins, même si,
pour l‘apôtre, les visions sont loin d’être des illusions. N’ont-elles pas bouleversé
sa vie, ne lui donnent-elles pas autorité pour son ministère ? A ses yeux,
les vrais, les seuls témoins dignes de foi, sont ceux qui ont rencontré spirituellement
le Christ ressuscité, quelque soit le mode opératoire, quelque soient les
circonstances, mais comme cette rencontre est une affaire privée
(potentiellement délicate car contestable), il préfère rester flou sur le
sujet.
[7] Notons, qu’il
existe dans les Actes deux brèves allusions à des manifestations
« matérielles » du ressuscité. La première se trouve dans une prédication de l’apôtre Pierre, la
deuxième dans une prédication de l’apôtre Paul. En Act. 10,38-43:
« ... et il a permis qu’il apparût, non à tout le peuple, mais aux témoins
choisi d’avance par Dieu, à nous qui avons mangé et bu avec lui après
qu’il fut ressuscité des morts. »En Act. 13,16-41: «
Quoiqu’ils ne trouvassent en lui rien qui fût digne de mort, ils ont demandé à
Pilate de le faire mourir. Et après qu’ils eurent accompli tout ce qui est écrit
de lui, ils le descendirent de la croix et le déposèrent dans un sépulcre. Mais
Dieu l’a ressuscité des morts. Il est apparu pendant plusieurs jours à
ceux qui étaient montés avec lui de la Galilée à Jérusalem, et qui sont
maintenant ses témoins auprès du peuple. Et nous, nous vous annonçons
cette bonne nouvelle que la promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie pour
nous leurs enfants, en ressuscitant Jésus, selon ce qui est écrit dans le
Psaume deuxième... » Ces deux allusions ne manquent pas de surprendre
car elles sont en totale contradiction, comme nous venons de le voir, avec les
idées défendues par les apôtres. Si vraiment leur objectif était de convaincre,
pourquoi sont-ils aussi discrets sur les apparitions? Dans ces deux textes ces
brèves allusions sont glissées en plein milieu du discours sans véritable
rapport avec le contenu général. Pierre insiste sur la mission qui a été
confiée aux apôtres tandis que Paul annonce la bonne nouvelle en s’appuyant sur
les prophètes. En ce qui concerne le premier passage, on se souviendra que la
Cène a été le dernier repas du Seigneur avec ses disciples « jusqu’à
ce qu’il vienne » (1
Cor.11,26), c’est-à-dire jusqu’à l’avènement du royaume de Dieu. (Mat.26, 29).
Tout porte à croire, par conséquent, que ces deux allusions sont des
interpolations. Observons que si nous les supprimons, le texte paraît moins
lourd et l’ensemble du discours gagne en cohérence. Dans Act. 10,38-43 : « ... et il a permis qu’il apparût, non
à tout le peuple, mais aux témoins choisis d’avance par Dieu, à nous qui avons
mangé et bu avec lui » (donc à
ceux qui avaient vécu dans l’intimité du Seigneur). Dans Act. 13,16-41 : « Quoiqu’ils ne trouvassent en lui rien
qui fût digne de mort, ils ont demandé à Pilate de le faire mourir. Et après
qu’ils eurent accompli tout ce qui est écrit de lui, ils le descendirent de la
croix et le déposèrent dans un sépulcre. Mais Dieu l’a ressuscité des morts. Et
nous, nous vous annonçons cette bonne nouvelle que la promesse faite à nos
pères, Dieu l’a accomplie pour nous leurs enfants, en ressuscitant Jésus, selon
ce qui est écrit dans le Psaume deuxième... » (Ce sont donc les prophéties qui attestent que
Jésus est ressuscité, pas les apparitions.)
[8] Remarquons que la logique de la foi chrétienne se complaît
dans le paradoxe, ce qui offre un avantage évident pour le croyant : celui
de ne jamais être pris au dépourvu, d’avoir toujours une "bonne"
réponse. En voici quelques exemples tirés des Écritures ou entendus dans
nos églises :
- Si la Foi est une
révélation de Dieu, cette révélation n’en comprend pas moins des mystères...
qui ne nous sont pas révélés.
- Jésus-Christ reviendra bientôt.
Veillons-donc ... mais «nul ne connaît le jour et l’heure» car pour Dieu
«un jour est comme mille ans».
- Par son sacrifice
Jésus-Christ nous lave définitivement de tout péché. Malgré cela on nous
exhorte à ne pas tomber dans le péché et nous prions Dieu qu’il nous délivre de
la tentation et du Mal.
- On parle du don gratuit de
Dieu, en la personne de Jésus-Christ, mais on souligne aussi le prix à payer
car le Dieu de la Bible n’est pas un Dieu au rabais.
- Le diable existe. Si nous
ne le voyons pas, c’est qu’il nous fait croire qu’il n’existe pas.
- Dieu est amour et patience
infinie mais il est « jaloux » et « prompt à la colère ».
- Dieu est amour mais il
permet que nous soyons éprouvés.
- Le plus grand témoignage de
Foi c’est de demander à Dieu l’impossible. Demander à Dieu des choses
ordinaires n’est-ce pas manquer de Foi?
- « Tout
ce que vous demanderez en mon Nom vous l’obtiendrez » affirme Jésus.
Seulement Dieu est souverain, il ne se laisse pas commander. De plus, comme il
connaît bien mieux que nous nos véritables besoins, nous avons tout intérêt à
le laisser agir.
- La prière est efficace. Ne
permet-elle pas de « déplacer des montagnes » ?
Cependant, si malgré tous nos efforts, notre prière n’a pas été exaucée,
peut-être est-ce parce que nous avons manqué de foi ou que nous avons mal
demandé ou que nous n’avons pas été en règle avec le Seigneur, à moins que Dieu
n’ait cherché, tout simplement, à éprouver notre foi. En dernier recours on
peut toujours invoquer les " mystères" de Dieu et proclamer que
"les voies de Dieu sont impénétrables".
- Dieu donne le Vouloir et le
Faire… alors faisons preuve de volonté et œuvrons pour le Seigneur. Dieu donne
la joie… alors soyons joyeux. etc.… Dieu donne abondamment mais c’est à nous de
faire l’effort.
- Dieu est unique mais il est
formé de trois personnes : le Père, le Fils et le Saint Esprit. etc….
[9] «… et voici, il vous précède en
Galilée ; c’est là que
vous le verrez. » (Mat. 28,7) Le
ressuscité se manifeste aussi sur une montagne (Mat. 28,16), dans une chambre
(Jn. 20,26), sur les bords du lac de Tibériade (Jn. 21,1) etc…
[10] Même son de cloche en Tite3,9-10 : «Mais évite les
discussions folles, les généalogies, les querelles,...»Or,
dans nos évangiles, il se trouve qu’il existe deux généalogies : la
première en Mat.1, 1-16, la deuxième en Lc.3,23-38. Quelles explications
peut-on en donner ?Selon le dictionnaire biblique (Éditions EMMAÜS,
1961, Vennes sur Lausanne, Suisse) les généalogies dénoncées par Paul auraient
une origine gnostique car elles seraient constituées d'éons et autres êtres
imaginaires. Selon le "Nouveau commentaire biblique" (Éditions
EMMAÜS, 1978, Saint-Légier sur Vevey, Suisse) il s’agirait
vraisemblablement d’adjonctions et d’interprétations fantaisistes de l'Ancien
Testament. Rien de probant dans ces explications. Elles ne sont que pures
hypothèses. Revenons aux mises en garde de Paul. A aucun moment il ne fait de
distinguo entre généalogies "sérieuses" et généalogies
"fantaisistes". Tout porte à croire que les généalogies de nos
évangiles doivent être mises sur le même plan que les fables. Le laconisme du
Nouveau Testament est, d’ailleurs, éloquent. En dehors de ces mises en garde,
pas la moindre petite allusion, en effet, à une quelconque généalogie. Relevons
que, dans leur prédication, les apôtres se contentent d'affirmer que Jésus est
issu de la postérité de David . Il s’agit là d’une
proclamation messianique. La signification est donc tout à fait différente. Comment
ne pas penser à des « généalogies sans fin » lorsqu’un orateur, le
dimanche matin, nous lit Mat.1, 1-16 ou Lc.3, 23-38. Dans cette interminable
litanie, Luc fait remonter Jésus non seulement jusqu'à Adam, le premier
homme,... mais jusqu'à Dieu lui-même. En matière de généalogies difficile de
faire mieux. Ajoutons enfin que les généalogies de Matthieu et de Luc ne sont
pas concordantes et qu'elles ont soulevé bien des discussions. Si l'on admet la
conception virginale de Jésus, Joseph n'est évidemment pas le géniteur de
Jésus. Dès lors on peut s'interroger sur l'intérêt de telles généalogies.
[11] Selon G.E. LADD (Théologie du Nouveau
Testament Vol. 2, P.B.U.-SATOR, 1984) la critique historique n’a jamais été
capable d’expliquer de façon convaincante la foi de disciples. « (...) il nous faut aller jusqu`au bout
du problème : il s`est passé quelque chose qui a fait naître chez les
disciples la foi en la résurrection de Jésus. Voilà le point crucial. Ce
n`est pas la foi des disciples qui a inventé des histoires de résurrection ;
c`est un événement sur lequel ces histoires reposent qui a donné naissance à la foi des disciples. » Comme les solutions proposées par la critique historique sont, évidemment,
toutes contestables pour l'auteur, il en déduit qu'il ne reste qu'une seule
solution plausible : Jésus est ressuscité des morts.
[12] Explications sans doute aberrantes pour nous
mais fabuleuses pour les disciples. S’agissant d’individus profondément engagés
et exaltés, on dirait aujourd’hui extrémistes, on comprend mieux qu’ils aient
adopté une position extrême.
[13] C'est par les Écritures que Jésus est ressuscité,
affirment les disciples. A aucun moment ils ne nous disent qu'ils en avaient
été avertis, à l'avance, par leur Maître. Du reste, leur découragement après la
Croix, semble suffisamment éloquent. Bien sûr les évangiles prétendent le
contraire. Ils nous disent que les disciples « ne l'avaient pas compris. » Étrange aveuglement pour
des hommes de foi qui avaient vécu dans l'intimité avec le Seigneur et qui
avaient été témoins, paraît-il, de miracles spectaculaires ! Tout porte à
croire, en fait, que cette prétendue « incrédulité » n’est
qu’une explication a posteriori tout comme le silence délibéré de Jésus
concernant sa messianité.
[14] Aujourd’hui, les chrétiens fondamentalistes réfutent la
thèse de l’enlèvement du corps en affirmant que les ennemis de l’Église
naissante n’ont jamais pu produire le cadavre du crucifié. Argumentation a
posteriori élaborée par des gens qui savent que le christianisme a triomphé. Or
il convient de nous placer dans le contexte de l’époque. Que pouvaient craindre
les autorités juives ou romaines d’une petite poignée d’illuminés qui
affirmaient que leur Maître était ressuscité et que personne ne prenait au
sérieux (même si cela finissait par agacer) ? Pas grand chose. Un tel
comportement devait paraître tellement dérisoire qu’il ne méritait même pas
qu’on s’y attarde. Les disciples finiraient bien par reprendre leurs esprits
pensait-on. Si les ennemis de Jésus n’ont jamais pu produire son
cadavre on peut aussi envisager qu’il ait été volontairement détruit ou même
perdu. Imaginons maintenant que le cadavre ait été retrouvé et présenté aux
disciples. Rien ne prouve qu’ils l’auraient reconnu une fois extrait d’une
fosse commune, surtout s’il était souillé, dans un état de décomposition avancé
ou à moitié dévoré par des charognards. Qui nous dit qu’ils n’auraient pas,
alors, dénoncé une mystification ? Mais revenons aux évangiles ; même
s’il y a eu, à l’origine, polémique sur la disparition du corps, à aucun moment
les disciples ne réclament la dépouille aux autorités, jamais ils ne cherchent
à tirer parti de la situation en évoquant cet argument. Silence qui révèlerait
un état d‘esprit bien différent de celui de nos contemporains.
[15] Dans l'Ancien Testament le Messie attendu n'est qu'une sorte
de délégué de Dieu et non pas l'incarnation de Yahvé (c’est une notion
impensable pour des juifs). En bons juifs, les disciples plaçaient donc
leur espérance en un Messie au service de Dieu. En Act. 2,36 : « ...
Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié. » En
Rom. 1,3-4 : « (…) déclaré
Fils de Dieu selon l’Esprit de sainteté, par sa résurrection d’entre les
morts (…) ». Ce n’est que bien plus tard, en terrain hellénistique
puis latin, que Jésus-Christ sera pleinement identifié à Dieu. La contribution
de l’apôtre Paul apparaît, à cet égard, tout à fait fondamentale, alors même,
soulignons-le, qu’il n’a jamais été un disciple du Nazaréen et qu’il ne l’a,
même, vraisemblablement, jamais rencontré.
Relevons que certaines
affirmations des Écritures ne permettent guère d'identifier Jésus à Dieu.
Ainsi, s'il est présenté comme inférieur au Père, c'est aussi dans l'attitude
de la prière qu'il s'adresse à lui. C'est à lui qu'il attribue les miracles. A
Gethsémané il lui obéit douloureusement. À la croix il se trouve apparemment
abandonné de lui. Jésus ignore le jour et l'heure du jugement. Il considère le
péché contre l'Esprit plus grave que le blasphème contre lui-même.
A partir du moment du moment où Jésus
n’est plus simplement le Christ mais Dieu, le récit de sa vie, dans les
évangiles, ne pouvait qu’être émaillé de prodiges. Question de crédibilité face
à la concurrence! Comme les dieux païens Jésus a donc eu des pouvoirs
surnaturels : le pouvoir de guérir, de ressusciter des morts, de marcher
sur les eaux, d’arrêter des tempêtes, de changer l’eau en vin, de multiplier
des pains…Tout comme Hercule, Empédocle, Romulus, Alexandre le Grand,...
Jésus est né de l'union d'un dieu et d'une mortelle. Par pudeur ou pour se
démarquer des païens, les chrétiens ont préféré mettre l'accent sur
"l'immaculée conception". Constatons que Paul ne sait rien d'une
naissance miraculeuse de Jésus. L'apôtre dit expressément qu'il est « né
d'une femme » (Gal.4,4), (gunè, dans
le texte et non parthénos, une vierge). Il précise même que Jésus est «issu
de la lignée de David selon la chair».
Si Paul ignore le thème de la conception virginale il ignore tout autant
les circonstances extraordinaires qui ont entouré la naissance de Jésus, de
même que ses miracles ?
[16] Le rôle de Jésus
lui-même dans l'instauration du royaume est ambigu : jamais il ne se dit
lui-même le Messie, mais il laisse d'autres le nommer ainsi. Il refuse presque
toujours ce titre et lorsqu'il parle du Messie c'est à la troisième personne,
comme s'il s'agissait de quelqu'un d'extérieur à lui. (Par exemple en Mat.25, 13 :
« Veillez donc puisque vous ne savez ni le jour, ni l’heure à
laquelle le Fils de l’homme viendra. ») Enfin, ce n'est qu'après sa
mort et sa "résurrection" que les disciples découvrent qu'il est le
Christ. Tous ces indices nous incitent à penser, que, de son vivant, Jésus n'a
jamais prétendu à un tel titre. Il se considérait et était considéré comme un
prophète (Mat. 21,11), un docteur de la Loi (Mat. 22,16), mais ceci n’exclut
pas que certains l’aient considéré comme le Messie. Jésus
avait un tel sentiment de proximité avec Dieu qu'il se sentait investi d'une
formidable autorité. Luc 4,18-19: « Il (Jésus) se leva pour faire la
lecture, et on lui remit le livre du prophète Ésaïe. L'ayant déroulé, il trouva
l'endroit où il était écrit: l'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a
oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres; il m'a envoyé pour guérir
ceux qui ont le cœur brisé, pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux
aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libres les opprimés, pour
publier une année de grâce du
Seigneur. »
[17] Soulignons
que le message de l’apôtre Paul ne se limite pas à un simple messianisme (Le messianisme
concernait, au départ, uniquement le peuple juif). Paul transforme
l’Évangile en une religion de salut universel, un salut où le passé devient
plus important que le futur. Le Seigneur va certes nous sauver lors de son
retour mais nul ne connaît le jour et l'heure. En revanche, ce qui est acquis,
c'est que Jésus-Christ nous a déjà sauvé par sa mort expiatoire (Rom.6,8-10).
Il est le Rédempteur, son œuvre est déjà accomplie... et c'est
maintenant qu'il convient de faire le pas de la foi. Ajoutons qu’un message centré sur la Croix plutôt que sur le retour du
Messie ne sauvait pas seulement des hommes mais l'Église. Cette certitude était
certainement beaucoup plus gratifiante que l’incertitude du Jour du Seigneur,
car elle permettait à l’Église de s’installer dans la durée.
[18] A partir du moment où la "logique de la foi"
s’est confondue avec fidéisme et qu’elle s’est cristallisée en dogmatisme, tous
les errements initiaux de la foi ont été occultés.
[19] Primitivement, en
effet, l’Évangile n’était pas un texte écrit rapportant la vie de Jésus.
L’Évangile était la bonne nouvelle proclamée de la résurrection de Jésus, de sa
messianité et de l’imminence du royaume de Dieu. La vie terrestre du nazaréen importait peu à ce stade. On a
commencé à s’y intéresser avec l’éloignement géographique et la disparition des
derniers témoins directs, mais surtout lorsqu’il devenait manifeste que la
Parousie avait pris un sérieux retard.
[20] Nos évangiles en ont gardé le souvenir tout
en travestissant quelque peu la réalité. (Mc.16,11 ; Mc.16,13 ; Lc.24,9-11…)
Si les apôtres y sont taxés d’incrédules c’est pour tenter de démontrer que ce
sont, finalement, les apparitions qui ont eu raison de leur incrédulité. Or ces
apparitions posent problème. Le lecteur bute à chaque instant sur des
incohérences. Il est manifeste que les rédacteurs de nos évangiles ont eu de
sérieuses difficultés à harmoniser les récits issus de la "tradition
orale". Ainsi, de quelle façon Jésus s’était-il
manifesté ? Sous forme de visions ou sous forme d’apparitions ?
S’agissant d’apparitions était-ce sous une forme matérielle ou
spirituelle ? L’embarras des rédacteurs est perceptible tout au long des
récits. Le ressuscité se manifeste tantôt avec un corps de chair et de sang,
tantôt sous une forme immatérielle ou encore « sous une autre
forme » sans que nous ayons la moindre précision. Il se fait toucher
mais interdit aussi qu’on le touche. Il traverse les murs, apparaît puis
disparaît mais son aspect semble tellement ordinaire qu’il passe inaperçu. Le
récit se veut spectaculaire (anges de lumière, grands tremblements de terre…)
alors que le ressuscité se montre d’une grande discrétion. Il paraît familier mais on ne le reconnaît pas et la description qui se
veut précise est en réalité floue. D’ailleurs Jésus se fait reconnaître plus
qu’il ne se montre. Sa présence est en même temps absence. Il est là mais déjà
il n’est plus là, il est annoncé ailleurs. Un vrai jeu de cache-cache. Force
est donc de constater que les apparitions se caractérisent par une grande
ambiguïté. L’embarras des rédacteurs est d’ailleurs tel qu’ils minimisent
l’importance des preuves matérielles, en mettant l’accent sur la foi et les
Écritures. (Mc.16, 14 ; Lc.24,25-27 ; 45-49)
[21] Le "vrai" Évangile est, de toute évidence, celui qui est défendu
dans les lettres apostoliques (ou épîtres) ; un Évangile exigeant, austère,
essentiellement spéculatif… très différent de l'histoire sainte et de la
"légende dorée" que nous trouvons dans nos 4 évangiles.
[22] Pour l’Église l’autorité des évangiles s’est imposée par
une sorte "d’évidence interne", ce qui est bien vague.
[23] Les textes néotestamentaires laissent ainsi
apparaître plusieurs étapes rédactionnelles. La foi s'est construite et
consolidée en fonction des réactions de la population. Pour perdurer, cette foi
a dû s'adapter au milieu dans lequel elle évoluait.
[24] Vers 240 Origène se plaignait des altérations
des évangiles: « Aujourd'hui, la chose est évidente, il y a beaucoup de diversité dans les
manuscrits, soit par la négligence de certains copistes, soir par l'audace
perverse de quelques-uns à corriger le texte, soit encore par le fait de ceux
qui ajoutent ou retranchent à leur gré, en jouant le rôle de
correcteur. » (Origène,
Commentaires sur Matthieu 15, 14) Au IVe siècle, saint Jérôme,
dénoncera « l'ardeur harmonisante » de ses prédécesseurs:
« Les nombreuses erreurs qui se sont implantées dans nos manuscrits
proviennent d'abord du fait que les récits évangéliques sur un même sujet ont
été complétés les uns par les autres. Elles résultent ensuite de ce que, pour
obvier aux différences des Évangiles, on a pris pour type le premier venu et
l'on a tenu à corriger les autres d'après celui-là. » (Jérôme, Lettre au pape Damase, préface) Comme le dit France Quéré : « L'Antiquité n'est
pas trop pointue sur le chapitre des "droits d'auteur". On peut
piller un texte, surtout celui qui se jette dans le domaine public, comme
l'Évangile, le reproduire et le transformer. C'est même une tentation pour le
scribe occupé à recopier. [...] Les signatures? Encore un coup de la piété.
Certains de ces évangiles traînent sans nom d'auteur dans les communautés,
et leurs disciples, se fiant plus à leur cœur qu'aux critères de l'édition
savante, leur supposent une origine apostolique et les baptisent d'un nom
particulièrement vénéré. [...] Quant à l'inspiration, si communément invoquée
dans l'Écriture sainte, elle n'a rien d'une métaphore; ce n'est pas moi qui
écris, mais un autre, l'Esprit ou le Conseil des Apôtres, demeurés vivants
parmi nous, et je ne suis que le porte-plume. Et le titre rend hommage à ces
secrètes tutelles. » (France Queré, Évangiles apocryphes,
p.22-23, Coll. Points)
[25] Nos évangiles représentent l’aboutissement
d’un long travail de compilation. Les scribes qui sont à l’origine de ce
travail se sont employés à sélectionner dans une "Tradition"
foisonnante, des récits qui leur paraissaient authentiques ou édifiants, selon
des critères pour nous contestables, mais qui sont l'expression d'une piété
sans doute bien réelle. S’ils avaient le souci d’établir la vérité c’était donc
avec les œillères de la foi. Ils ont tenté d’harmoniser ces récits en donnant
une interprétation plus ou moins convaincante pour leurs contemporains, mais
sans parvenir à gommer toutes les contradictions, toutes les incohérences.
Marques d’authenticité, pour nous bien précieuses, puisqu’elles nous permettent
de remonter aux origines même de l’Évangile.
[26] Ce
foisonnement de récits nous est, par exemple, confirmé en Jn. 20,30-31. Ainsi,
peut-on lire : « Jésus a fait encore, en présence de ses
disciples, beaucoup d’autres miracles, qui ne sont pas écrits dans ce livre.
Mais ces choses ont été écrites afin que vous croyez que Jésus est le Christ,
le Fils de Dieu (…) » Plus loin en Jn. 21,25 l’auteur
ajoute : « si on les écrivait en détail, je ne pense pas que
le monde même pût contenir les livres qu’on écrirait. » Ces
affirmations semblent révéler un certain embarras de la part du rédacteur. Il
nous dit que Jésus a fait « beaucoup d’autres
miracles» mais ajoute, aussitôt, qu’il n’a pas rapporté ces choses
dans son livre. Pire. Il ne nous donne aucune précision sur ces autres écrits,
semble-t-il, beaucoup plus bavards. Pourquoi un tel flou artistique ? Si,
vraiment, l’objectif du rédacteur était de convaincre ou d’édifier, pourquoi
a-t-il privé le lecteur de tels récits ? Sans doute conscient du problème,
celui-ci nous propose une explication sidérante : l’impossibilité
matérielle de réaliser un tel travail, car, dit-il « si on écrivait ces
choses en détail, je ne pense pas que le monde même pût contenir les livres
qu’on écrirait. » Exagération qui permet de glorifier le Seigneur tout
en occultant la vraie raison. Ces autres écrits, en effet, qui en disaient
tellement plus sur Jésus, relevaient-ils de la légende dorée ou de la vérité
historique ? Avec les œillères de la foi, il était, en vérité, bien difficile
de séparer le bon grain de l’ivraie. Par prudence, le rédacteur a donc préféré
ne pas retranscrire ces récits.
[27] La
christologie, c'est-à-dire la science du Christ, ne s'est pas développée à
partir d'un canon tout fait. Le Christ est une création historique à partir de
Saint Paul. La christologie est aussi une construction politique parce que les
décrets étaient pris en conciles et que les conciles étaient convoqués par les
empereurs. L'élaboration d'une christologie a entraîné de profondes
divergences. Par exemple les monophysites maximisaient le divin alors
que les ariens maximisaient l'humain en minimisant le divin.
[28] Si l’on
considère le christianisme comme un strict monothéisme, le dogme de la Trinité
pose évidemment problème (trois hypostases divines : le Père, le Fils et le Saint
Esprit... mais à cela s’ajoute une hiérarchie d’entités intermédiaires : les
anges, le Diable, les saints que l’on peut prier et qui peuvent faire des
miracles; enfin Marie, mère de Dieu, exempte du "péché originel", que
l’on peut aussi prier et qui a le pouvoir d’apparaître occasionnellement). Si
l’on replace, par contre, ce dogme dans son contexte d’origine à savoir le
monde gréco-romain, très largement d’inspiration polythéiste, ce choix semble
beaucoup plus cohérent. Avec le dogme de la Trinité il est clair que le
christianisme rompait définitivement ses attaches avec le judaïsme. A ce
stade il s’agissait bien d’une religion
nouvelle, une forme de polythéisme simplifié beaucoup plus accessible
pour des Grecs ou des Romains. Comment expliquer une telle évolution ?
Soulignons que la religion romaine souffrait d’une trop grande disparité. Comme
le dit E.R Dodds (Païens et chrétiens dans un âge d`angoisse La pensée
sauvage, 1979) « La tolérance religieuse qui était le propre de
l`attitude grecque et romaine, avait entraîné l`accumulation d`une masse
d`alternatives entre lesquelles il était impossible de se reconnaître. » Trop de dieux, trop de cultes, trop de
mystères, trop de philosophies de la vie. En proie à une certaine angoisse
existentielle, les païens auraient été en quête d’une religion plus épurée,
plus personnelle. Pour s’y retrouver il fallait donc « un sérieux coup
de balai » mais encore fallait-il le faire en ménageant quelques
compromis. Si c’est le christianisme qui a finalement triomphé (alors qu’il
était en concurrence avec d’autres religions orientales) c’est évidemment parce
qu’il répondait davantage aux attentes des gens, mais s’il en était ainsi,
c’est aussi parce que cette religion nouvelle a été adaptée aux besoins. Du
"sur mesure" en somme et tout cela au prix d’un immense travail,
étalé sur des siècles. Soulignons que le christianisme a bénéficié de la
fermentation des idées du monde gréco-romain. Il a été fécondé par des
spéculations philosophico-politico- religieuses mais aussi par des valeurs, des
croyances, des superstitions ou des pratiques issues du "paganisme".
D’où sa richesse... mais aussi ses errements. Cette fécondation était possible
parce que le monde méditerranéen était unifié, pacifié, qu’il disposait d’un
réseau de voies de communication remarquable, que la concentration urbaine des
populations était considérable et enfin, ce qui est loin d’être négligeable, le
monde romain bénéficiait d’un cadre institutionnel solide. D’une certaine façon
en se "déjudaïsant" le christianisme s’est "paganisé" et
c’est en se romanisant qu’il a gagné en efficacité. A travers le christianisme
se profile ainsi un ambitieux dessein : unifier la religion romaine, en faire
une religion universelle (en latin catholicus, en grec katholikos),
une religion qui a réponse à tout, qui n’admet aucune opposition et qui cherche
à contrôler la
totalité des activités de la société (en somme une
religion totalitaire). Dans ce but les "autorités" ecclésiastiques seront
amenées à jouer un rôle croissant, l’encadrement des chrétiens deviendra plus
systématique, le discours se fera plus dogmatique et intolérant. Soulignons que
si le christianisme a triomphé c’est aussi parce qu’il servait le pouvoir
politique. Finalement, l’Église, devenue dominatrice, s’est identifiée à l’Empire
romain.