Contre la conquête de Mars

Il y eut une fois une émission de télé parlant du projet de mission habitée sur Mars. Il y avait un scientifique qui défendait ce projet par l'argument suivant, (ici réexprimé en gros):

"Il y a des traces d'eau sur Mars, meme si en surface elle est gelée et concentrée près des pôles: autrefois il devait y en avoir en surface. Alors, si on arrive à montrer que de ce fait, cette planète a porté des traces de vie primitive (meme plus primitives que les bactéries), cela démontrerait de manière flagrante l'importance de l'eau pour le développement de la vie. Ainsi on serait motivés pour la préservation de la qualité de l'eau sur terre"

Cette argument ne précise pas ce qu'il faudrait conclure si jamais on ne trouve rien. Est-ce que cela vaut les 40 milliards de dollars (à ce qu'on dit, mon oeil) que cela va coûter ? Voici là-dessus plusieurs remarques.

Quelle idée de vouloir rendre habitable la planète Mars, lorsqu'il y a toujours des gens qui meurent de faim sur terre, et qu'il y a des problèmes écologiques qui s'accumulent (déforestation, pollution etc.) Si on a vraiment des milliards à perdre, il y a certainement mieux à faire que d'aller sur Mars: il paraît notamment que cela ne coûterait pas si cher que cela de faire en sorte que tous les pays disposent de ressources alimentaires suffisantes. Si l'on dépense des centaines de milliard pour rendre Mars habitable tandis qu'on laisse la Terre devenir inhabitable, imagine-t-on que l'on soignera mieux Mars une fois la colonisation achevée ? Et que fera-t-on lorsque Mars sera devenue également un dépotoir ? De toute facon, si cela coute aujourd'hui 40 milliards de dollars pour envoyer 10 personnes sur Mars, imagine-t-on que l'on aura les moyens d'y envoyer des milliards de personnes, même dans trois sciècles ?

Autre exemple: il y a très peu de fonds publics accordés à la recherche médicale, qui est ainsi obligée de faire la manche tous les ans sur les médias au nom de la lutte contre le cancer. Est-ce normal ?
Mais voilà, les gens font, à l'occasion, plus facilement la charité pour la recherche médicale ou autres causes généreuses d'un côté, et de l'autre côté, ils (peut-être pas les mêmes personnes...) sont avides des rêves les plus fous de conquêtes spatiales, fascinés qu'ils sont des prouesses technologiques de notre époque. Mais si on demandait la charité pour financer la conquête de Mars, récolterait-on autant d'argent ?
Tout ces choses n'ont en fait qu'un même but: alimenter le cinéma médiatique de notre société.

Des grands projets ruineux et inutiles, il y en a beaucoup. Par exemple, il y a eu un projet de super-accélérateur de particules aux USA. Comme il coûtait très cher (peut-être nettement plus que prévu initialement, comme d'habitude ?), les travaux ont finalement été interrompus. Plus de la moitié de l'agent avait déjà été dépensé, et puis finalement, l'Etat décida de cesser les frais, alors tout ce qui avait été fait se trouva purement et simplement perdu. Quand donc les décisions seront-elles prises avec intelligence ? D'un point de vue économique, si on voulait vraiment mettre cartes sur table, s'engager à un moment donné dans des grands projets à long terme, qui n'ont de sens que s'ils sont menés jusqu'au bout, nécessiterait de mettre dès le départ sur un compte d'épargne tout l'argent qui devra y être dépensé. Ceci pour les raisons suivantes:
1) On n'est pas à l'abri d'une crise économique ou financière pouvant remettre en cause un tel projet en cours de route (et les évènements de septembre 98 l'ont peut-être suggéré); ou plus simplement une politique de restriction budgétaire, si nécessaire au vu des impôts excessifs qui pèsent sur la société et des dettes croissantes des Etats.
2) Il est facile de décider un nouveau projet pour se faire bien voir, si ce sont les adversaires politiques qui, venant peu après au pouvoir, devront en payer la facture.

Un critère dont on devrait se souvenir est celui de l'utilité pour l'économie d'une part, pour le développement des connaissances d'autres part; et enfin, la question de savoir s'il est plus utile de faire un travail de recherche à telle époque ou quelques décénies plus tard.
Un travail de recherche fondamentale en maths, ne faisant intervenir que de la matière grise, est à peu près aussi utile aujourd'hui qu'il le serait dans vingt ans. Certaines recherches en rapport avec les technologies de pointe comme les technologies de l'information sont manifestement plus utiles aujourd'hui, car elles permettent d'accélérer les recherches et/ou le développement de l'économie. D'autres travaux comme la conquête de Mars ou les plus gros accélérateurs de particules sont nettement moins rentables aujourd'hui qu'ils pourront l'être dans quarante ans, parce qu'ils n'ont aucune utilité pratique mais que si on attend, le progrès technologique permettra de faire mieux et moins cher (de plus, si on considère, ainsi qu'il le faudrait, le financement d'un projet comme une rentrée de tout l'argent dès le départ et que l'on place en attendant de le dépenser, le fait d'attendre rapporte des intérêts !)

Il y eut un article faisant état de la pollution spatiale: de très nombreux débris des lancements passés (depuis les étages de fusées jusqu'aux écailles de peinture) restent en orbite autour de la terre; ceux qui sont en orbite basse sont certes quelque peu freinés par l'atmosphère et finissent par retomber au bout de quelques années. Mais beaucoup restent, entraînant des risques de collision avec les nouveaux satellites à des milliers de kilomètre-heure, au point qu'on adopte une approche statistique pour limiter les risques (orientation des panneaux...), et qu'on envisage de munir les prochains satellites de boucliers. Donc, toutes les missions spatiales se gênent mutuellement, ce qui devrait nous inciter à sélectionner ce qui est vraiment utile, jusqu'à ce qu'on trouve des solutions à ce problème (lanceurs produisant moins de déchets notamment). Au premier rang de ce qui est utile figurent bien sûr les satellites de télécommunication, puis quelques satellites de météo et d'astronomie. Par contre, l'intérêt des missions habitées me paraît moins clair (réparation du satellite Hubble mise à part). On va dans l'espace pour étudier les effets de l'apesanteur sur l'organisme humain ou animal. Un tel argument pourait justifier à peu près n'importe quoi (cette remarque a été aussi publiée quelque part). Certes cela peut être intéressant, au même titre qu'une expérience faite une fois, qui consistait à se mettre à vivre plusieurs mois dans une demeure souterraine, en dehors de tout repère temporel, afin d'étudier ce que deviennent les cycles de veille et de sommeil livrés à eux-mêmes. Enfin voilà, les expériences ont été faites, on est contents. On a assez payé pour tout ça.

Et dès à présent, l'espace commence à intéresser les investisseurs privés, non seulement pour les télécommunications, mais aussi pour le tourisme spatial, où quelques milliardaires seraient prêts à payer cher une petite ballade en apesanteur. Donc il n'y a désormais plus d'inquiétude à avoir pour l'avenir de la recherche spatiale, même si l'on cesse de la financer par l'argent public. Et même, à suffisamment long terme, on pourra toujours trouver des gens pour financer la conquête de Mars (cartographie détaillée notamment; mais elle a déjà été faite, alors disons cartographie encore plus détaillée, jusqu'au décimètre): ce sont les producteurs de films de science-fiction et de jeux vidéo.

En conclusion: sans doute la conquête de Mars est-elle inéluctable à long terme (d'ici 2150 par exemple), mais la programmer pour bientôt comme cela est fait aujourd'hui, comme si c'était une chose urgente, est ruineux et tout-à-frait prématuré ! Il est plus sage d'attendre une ou deux décennies de plus, et comme on ne sait pas quelles seront alors les conditions (technologies etc), il ne sert pas à grand-chose de prévoir cela maintenant. 


Retour: rubrique opinion; page principale