Critique du communisme

A ma connaissance, la seule société idéale ayant eu une extention significative dans le temps et l'espace dans un passé pas trop lointain est clairement la République des Guaranis, société communiste ayant existé de 1610 à 1768 sur une large portion d'Amérique du Sud. A ce sujet, je ne connais rien en dehors du livre de Clovis Lugon (La République des Guaranis, les Jésuites au pouvoir, les Editions ouvrières, 1970 ; ce livre contient beaucoup de références). Résumons-en les points essentiels sur le plan économique :

Avantages du communisme

Les gens y étaient heureux, et concrètement le résultat était une croissance économique très importante: partis d'une économie primitive, ils sont parvenus rapidement à un niveau de développement comparable à celui de l'Europe de l'époque.
On remarque que la faible durée totale du travail, qui correspondait à l'Utopie de Thomas Moore mais semblait extraordinairement faible pour l'époque, s'expliquait par le fait que tous les travaux liés à la gestion de l'argent étaient supprimés. Ce n'est qu'actuellement avec l'histoire des 35 heures (qui ne concernera de toute manière pas tout le monde : ni artisans, ni élèves ni étudiants) qu'il est question de ramener la durée de travail à une quantité équivalente, après que la productivité du travail se soit multipliée par plus de 100.
Les gens étaient concrètement égaux: tous avaient les mêmes conditions de vie, et ce qui s'accumulait était propriété collective en sorte qu'il n'y ait pas de déshérités. Mais l'injonction biblique était valable : "Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus". Ainsi, il n'y avait pas de parasites mais tous participaient volontiers à l'effort productif, suivant la durée convenue. Cela peut être considéré comme un idéal de justice morale, que des peines égales soient également récompensées.

Ainsi donc, il s'agissait véritablement d'une société idéale, la meilleure dont on aurait pu rêver pour l'époque. Malheureusement, je ne pense pas qu'elle soit un modèle applicable aujourd'hui. Voici pourquoi.

D'abord, cette République était adaptée au contexte technologique de l'époque, et si son \développement économique n'a pas remis en cause ses principes communistes, et s'il est permis de penser que cela aurait pu continuer longtemps ainsi s'il n'y avait eu sa destruction de l'extérieur, ce n'était pas pour autant une société figée, et nous ignorons comment elle se serait adaptée aux conditions technologiques plus modernes, car la description d'une telle adaptation ne pourrait venir que de l'expérience et non d'une théorie quelconque, ou alors il faudrait une étude théorique vraiment colossale. La question de savoir comment on pourrait aujourd'hui constituer une société communiste est donc très loin d'être évidente.

Ensuite, mentionnons un certain nombre d'objections particulières, données directement en fait par la logique libérale.

Critiques du communisme (du point de vue libéral qui est le mien)

Notre monde est profondément diversifié, le développement économique ayant ouvert un immense champ de possibles. Le choix actuel immense des biens de consommation empêche une standardisation de la consommation à epsilon près comme celle qui était réalisée chez les Guaranis. De plus, chacun doit pouvoir choisir son temps de travail (entre travailler peu pour consommer peu ou travailler beaucoup pour consommer beaucoup), sa durée de vacances et ses voyages.
Dans ce cas, les différentes vies n'ayant rien à voir entre elles et la marge de liberté étant grande, comment peut-on encore appliquer le principe de non-parasitisme ? On ne peut plus se contenter de savoir compter jusqu'à un pour savoir si quelqu'un a assez travaillé pour mériter ce qu'il consomme, parce que la liberté et la diversité nécessaire d'organisation du travail ne le permet pas; de même on ne peut pas non plus se contenter de savoir compter jusqu'à un pour savoir si quelqu'un ne consomme que sa part.
Il y a des gens paresseux qui préfèrent travailler peu ou vaguement et consommer peu, d'autres qui préfèrent s'efforcer de travailler plus ou efficacement pour pouvoir consommer plus. Pourquoi faudrait-il les contrarier ?

Il existe une autre notion de justice, à côté de celle de la récompense pour la peine: celle de la récompense pour l'utilité du travail fourni. Certes on voudrait éviter cela, et corriger l'injustice des dons que la Providence a fait à tous.
Mais comment peut-on en juger ? Comment savoir, lorsque quelqu'un produit moins, si c'est parce qu'il n'est pas capable de produire plus, ou si c'est parce qu'il est paresseux, parce qu'il a choisi d'être paresseux ou si sa nature le force à être paresseux, ou encore s'il pratique un métier qui ne l'utilise pas à pleine capacité, tandis qu'il y aurait un autre métier possible qui le rendrait plus productif ? Dans ce cas, si quelqu'un d'autre par son observation et sa connaissance en prend conscience et lui fait changer de métier, cette décision est finalement ce qui est productif, et il est normal qu'une part de mérite lui revienne.
Mais si cet individu refuse de changer de métier par convenance personnelle, que peut-on y redire ? Je ne vois donc d'un point de vue objectif rien de mieux que l'incitation financière pour cela, donc payer pour chaque métier suivant son rendement, quitte à y mettre des corrections suivant des estimations subjectives.
En général, tout écart de revenu par rapport à ce que donnerait la loi du marché, ou bien récompense un travail d'intérêt collectif, ou bien est un don , c'est-à-dire que sans vouloir le restreindre cela doit pour des raisons pratiques être rangé dans la catégorie de la charité en compensation d'une injustice de la Providence (qui rend les gens plus ou moins productifs suivant le hasard), et non une "justice socale" objective, un "droit" acquis, afin de ne pas en abuser. Car un droit est normalement l'expression d'une liberté qui ne nuit pas à autrui et peut être utilisé sans limite suivant les convenances personnelles, tandis que don signifie obligation morale de faire attention et de chercher à sortir de ce soutien dans la mesure du possible, parce qu'il pèse sur les autres et qu'il est donc moralement préférable de l'éviter. A ceux qui ne font pas leur possible l'allocation doit être retirée. Et cette condition (sauf dans certaines situations claires comme l'invalidité) ne pourra jamais être définie par un règlement, mais doit être analysées suivant le registre de la charité subjective.
Ceci pour appréhender des situation du style où par exemple des gens se feraient payer des soins superflus aux frais de la sécu, ou des allocations chômage parce qu'un travail qu'ils auraient pu faire ne leur convient pas...
A cela s'ajoute la remarque que si vous refusez aux gens doués le bénéfice financier de leurs dons, il peuvent toujours choisir de quitter le pays avec leur cerveau pour aller en un lieu du monde où ils pourront exploiter ce bénéfice, à moins que vous ne les enfermiez dans le pays par un rideau de fer.

Il serait absurde d'imposer une durée de travail minimale pour tout le monde. D'ailleurs, on ne peut prétendre obliger les gens à travailler si personne ne sait quel travail utile ils peuvent faire. Plus précisément, d'après les causes du chômage actuel telles que les a analysées par Daniel Cohen, un grand nombre de travaux exigent des compétences très précises et infaillibles, au point que, en imaginant un "partage du travail" par les 35 heures et balivernes, quiconque un peu moins qualifié remplacerait celui qui aurait dû faire un travail, l'effectuerait avec quelques défauts qui hélas, pour des raisons pratiques, auraient des conséquences catastrophiques pour la production qui ne peuvent pas être tolérées.
Il ne suffit donc pas d'avoir des bonnes intentions de "partage du travail" pour que ce partage soit possible, mais LE problème est de savoir quels travaux donner à tout le monde, et expliquer comment la production peut se poursuivre dans ces conditions.

D'autre part, comment fixer un ensemble de biens de consommation distribués à tous ? les gens voudront presque toujours les changer contre d'autres, ce qui nécessite un marché et une monnaie. Au lieu de fixer les biens de consommation, il serait déjà plus sensé de fixer un revenu, laissant chacun libre d'acheter ce qu'il veut. Ainsi arrive la monnaie, comme mesure de ce que chacun coûte à la collectivité par sa consommation.
Quand on parle de monnaie, certaines personnes sont horrifiées. Pourquoi ? Parce qu'il a des gens qui gagnent des sommes d'argent collossales qu'ils ne méritent pas. Ils sont donc parasites. Cet argent leur permet donc de parasiter la société, car il constitue un droit à consommer, dont ils disposent en quantité excessive.
Mais je voudrais qu'on m'explique: si l'argent n'existait pas, comment ne pourraient-ils plus parasiter la société par cette même consommation excessive ? Qu'est-ce qui peut donc bloquer leur consommation ? Le rationnement ? Comment le définirez-vous : pour chaque marchandise séparément...? Il est donc bien plus sensé que chaque chose ait un prix, quitte à intervenir sur le revenu.

Mais il faut savoir compter en détail. Ce n'est pas parce qu'on a mal su compter jusqu'à présent qu'il faut éliminer tout principe de comptage, de même que ce n'est pas parce qu'on a mal vu quelque chose qu'il faut se crever les yeux.
Et même si tous les gens sont honnêtes et altruistes, n'est-il pas nécessaire de les mettre au courant des effets de leurs actes sur la société, afin qu'ils soient au courant du fait que telle option (travail à faire) qui s'offre à eux est aussi bonne que telle autre option pour le reste de la société alors qu'elle apparaît plus avantageuse pour eux-mêmes, afin qu'ils ne se culpabilisent pas de l'adopter s'ils la préfèrent ? Et pour les mettre au courant, n'est-il pas nécessaire que le calcul soit effectué ?
Le travail de comptage que véhicule la manipulation monétaire est donc finalement dans tous les cas un travail utile voire nécessaire à la société; y compris si tout le monde est altruiste: ce travail ayant pour but d'informer les gens sur la question de la mesure de l'impact de leurs éventuels choix sur le reste de la société, afin que le choix de l'option la plus collectivement utile puisse être réalisé au maximum quand bien même on n'aurait pas la chance de rencontrer personnellement les gens à qui ces options sont utiles en sorte de percevoir cette utilité sentimentalement (or, baser le travail et la bonne volonté sur l'amour universel nécessiterait une perception personnelle et sentimentale du bien effectué pour pouvoir le motiver, ce qui serait une contrainte contre-productive en pratique). Le problème est alors de parvenir à affiner et rationnaliser ce travail, pour qu'il soit plus juste, plus efficace et moins dépensateur d'énergie.
Encore un exemple: supposons que dans une société communiste on constate que les nombres de personnes effectuant deux métiers A et B n'est pas le bon pour répondre aux besoins productifs. On signale: "Il faut que des personnes faisant le métier A passent au métier B".
Mais il n'y a pas de volontaires. On insiste. Certains se dévouent. Certains le font par un gros effort, tandis que d'autres pour lesquels ce serait un moindre effort ne se dévouent pas. Pourquoi? Pas forcément par égoïsme, mais parce qu'il n'y a rien qui permette de comparer les peines des uns et des autres, qui permette aux uns de savoir la mesure de l'effort que d'autres mettent à se dévouer.
Tandis que s'il y a une différence de salaire conpensative, cela est mesuré.

On ne peut pas actuellement trouver un petit monde clos constitué uniquement de personnes bonnes et altruistes, car l'organisation économique tournée vers la croissance nécessite actuellement des échanges économiques mondiaux, or dans le monde extérieur actuel les gens honnêtes et malhonnêtes sont mélangés, et l'ouverture à la croissance économique est une nécessité (pouquoi empêcherait-on les gens de vivre plus à l'aise par la même quantité d'efforts, ou vivre aussi bien avec moins d'efforts, si cela ne se fait pas aux dépends d'autrui ?). On a donc besoin d'un système de protection face au monde extérieur où se trouvent beaucoup de gens éventuellement malhonnêtes, tout en préservant des relations économiques abondantes et décentralisées avec eux. De plus, la frontière avec ce monde extérieur doit être perméable, permettant facilement aux gens d'y adhérer sans en abuser, c'est-à-dire qu'une mesure doit être faite des usages et contributions aux ressources de la communauté par ceux qui veulent y adhérer afin de ne pas les épuiser. Voilà pourquoi je pense que le système que je propose sera beaucoup plus résistant face à tous ces problèmes qu'une communauté sans monnaie.

La question du taux d'intérêts.

Le travail et la consommation doivent être libres de varier au cours du temps, permettant aux gens de produire plus ou restreindre leur consommation quelques années pour ensuite cesser leur travail plus tôt ou augmenter leur consmmation par la suite.
Si la question est comme on l'a dit, de mesurer le l'utilité, c'est-à-dire l'impact d'une décision individuelle sur la production globale, alors on en arrive nécessairement à trouver un taux d'intérêts: car travailler plus un jour fait croître le capital productif, donc cela enrichit la société d'une manière qui augmente avec le temps. La valeur réelle augmentée qu'on récupère ensuite mesure donc bien l'utilité de celui qui n'a pas dépensé cette richesse plus tôt.
Le seul reproche d'injustice qu'on peut faire et qui est parfois vraiment fondé, c'est de contester la légitimité du capital de départ, comme étant une richesse qui a pu être acquise injustement avant que le taux d'intérêts ne le multiplie.
Et encore une fois: tant qu'il y aura du libéralisme, à moins de reconstruire le rideau de fer, vous ne pouvez pas empêcher les gens qui ont des capitaux d'aller les placer là où le taux d'intérêts est le plus avantageux. Or on a besoin des capitaux pour construire une économie, donc il est nécessaire de les payer à la mesure de leur utilité.

Pourquoi le marxisme a échoué

Beaucoup disent: le marxisme était une belle théorie, mais sa mise en pratique a échoué, ou était impossible à cause des défauts humains. Ainsi se trouve-t-on désabusé des théories, et on se résigne à devenir pragmatique.
Je ne partage pas du tout cette analyse. En particulier si on examine la démarche marxiste: son but n'était pas de faire une belle théorie sans se soucier de sa mise en pratique, c'est même exactement l'inverse. Le marxisme se présentait en effet comme une "critique de l'économie politique", à savoir comme une critique de la théorie libérale, critique réalisée sur la base de l'expérience historique. Il s'inscrit donc dès le départ dans la droite ligne de l'attachement à la réalité concrète et expérimentale contre les théories idéales. Dès lors, comment diable peut-on encore prétendre que c'était ou ça se voulait une belle théorie ? De fait ce n'était pas une théorie. C'était ni plus ni moins une belle littérature. Mais alors, qu'est-ce qu'une théorie ? Les logiciens connaissent cela, c'est leur métier, et aussi les physiciens (même s'ils ne sont pas aussi au clair là-dessus qu'ils le devraient). Souvent une théorie a précédé les vérifications expérimentales. Et ces théories, les vraies, ont bien eu de grandes applications pratiques, parce que c'était des théories, justement. Mais parmi les multiples révolutionnaires autoproclamés de la physique qui prétendaient remettre en question les connaissances établies parce que ce ne sont "que des théories", et avancer au lieu de cela de "nouvelles idées" basées sur la volonté de refonder la physique sur des "réalités concrètes" que d'après eux les physiciens aveuglés par les mathématiques auraient oublié, y en a-t-il un qui soit resté dans les mémoires pour avoir amené des applications technologiques utile majeure ?
Les mathématiques sont connues pour avoir eu des tas d'applications de par nombre de ses branches, même la théorie des nombres que certains étudiaient en la croyant radicalement inapplicable a engendré la cryptographie par exemple. Ainsi, les vraies théories sont bien souvent applicables, car la réalité concrète ne peut pas contredire des théorèmes. Mais ce qui n'est pas du tout une théorie, et en particulier ce qui n'a jamais prétendu être une théorie, comment pourrait-on l'espérer applicable ?

Reprenons encore la question: les gens croient les théories inapplicables, en pensant au marxisme, parce que c'est en fait la seule théorie qu'ils connaissent, tandis que les théories scientifiques et mathématiques leur passant largement au-dessus, ils n'ont pas eu la chance de s'y intéresser personnellement, et ils ont donc tendance à les oublier. De fait le marxisme est la seule théorie qui ait jamais eu l'ambition de pénétrer les esprits populaires et de compter sur le peuple pour sa mise en pratique. Cela ne s'était jamais vu auparavant. Par exemple, quand les physiciens ont eu l'idée que les ondes électromagnétiques pouvaient être utilisées par toute la société pour les communications à longue distance, se sont-ils d'abord efforcés de convaincre le peuple de cette possibilité mirobolante en lui détaillant la preuve par les équations de Maxwell, en comptant sur le peuple pour l'appliquer ? Pas du tout. Ils se sont d'abord appliqués à mettre au point la technologie dans leur coin, jusqu'à ce que cela fonctionne et que le peuple, voyant que cela marche, n'ait plus qu'à se procurer les outils correspondants prêts à l'emploi sans chercher à comprendre.

Mais c'est bien connu, le peuple n'a jamais su et ne saura jamais ce qu'est une théorie: c'est trop compliqué pour lui. Plus il croit connaître une chose comme étant une théorie, moins ça a de chances d'en être une en réalité. Et il ne faut surtout pas lui demander de mettre en pratique une théorie. Il faut la mettre en pratique entre quelques spécialistes dans un coin, puis en distribuer les outils qui l'incarnent prêts à l'emploi. A savoir, pour ce qui concerne un nouveau projet de société, définir la logique de cette société sous forme de logiciels et de sites web, que les gens n'ont plus qu'à utiliser.

Sur les <<contradictions>> du capitalisme et la question de sa chute à venir

voir Les enjeux politiques de l'avenir



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